Face à la guerre, l’entente possible entre des gens différents

J’ai le bonheur de participer à des expériences très particulières dans le contexte actuel de tensions et de politiques identitaires : je côtoie régulièrement des personnes très différentes, différentes de moi, différentes entre elles.

On se réunit, on discute, on décide, on se contredit, on cherche ensemble un chemin pour tous.

Que ce soit le projet du « Journal des possibles », que ce soit des moments d’études de la loi criminelle de Macron/Collomb contre l’asile, que ce soit la préparation de manifestations, de textes ou autres choses encore : tout cela n’est possible que parce que nous le décidons ensemble, indépendamment de nos origines, religion ou non religion, milieux sociaux, quartiers etc… ou plus exactement, nous y arrivons grâce au fait que nous sommes à la fois différents et tendus vers de mêmes recherches.

Cela est vrai aussi quand je me retrouve avec des enseignants, des parents et habitants du quartier de la Reynerie à Toulouse : amies avec foulards ou non, enseignants ou gens ayant fait peu d’études, amis depuis longtemps en France ou de dates plus récentes, ce qui prime c’est le respect entre nous, respect de ce que chacun pense, propose, fait pour qu’aucun enfant ne soit laissé sur le bord de la route.

Je dis bonheur de participer de cela et non chance, car il n’y a aucun hasard dans le fait que de tels lieux et de telles rencontres existent : c’est la décision individuelle de faire face à des situations particulières, et ensuite un travail en commun, qui fait passer ces rencontres de nécessaires à possibles.

Ces lieux se constituent au fur et à mesure que de la pensée s’y déploie en rapport avec les situations réelles auxquelles on se trouve confronté.

Le pays pour tous ; l’école pour tous les enfants avec la reconnaissance qu’un enfant = un élève ; le respect ; les droits des gens ; la paix… autant de points qui s’inventent en fonction des gens qui y participent ; ce qui en sort dépend toujours de ce avec quoi chacun y vient.

Toutes ces expériences prouvent une chose : que les politiques identitaires, raciales, religieuses, ethniques ne sont pas une fatalité. Que l’origine, l’ethnie, ou la religion ne disent en aucun cas ce que chacun pense, veut et fait. Que la proposition « d’être entre les mêmes gens » n’est en rien naturelle et positive.

Encore heureux qu’un tel déterminisme racialiste ne l’emporte pas ! Mais néanmoins, on peut dire que certains l’alimentent : il sont militants (de diverses origines) de la guerre entre les habitants différents du pays. Des partis sont constitués là-dessus, des politiciens s’en servent, volontairement ou par bêtise d’apprentis sorciers arrivistes. Ceux qui commettent des crimes de masse au nom de la religion s’appuient sur ces mêmes arguments identitaires.

Je parle de ces expériences d’ententes possibles entre des gens différents car un ami dit souvent : « il y a la guerre à l’extérieur et il y a la guerre à l’intérieur, il faut faire face aux deux ». Si cela est vrai que la guerre à l’intérieur devient envisageable, et je pense que ça l’est, la question immédiate est : que faire dans un premier temps pour la restreindre, et pour imposer la paix ?

Tout d’abord, utiliser le mot de guerre pour parler de la situation à l’intérieur nécessite de le préciser.

La guerre à l’extérieur, elle, est visible, palpable : destructions de villes, les bombes et les morts, l’éclatement de pays, la destruction d’états etc… Aucun doute à avoir sur sa réalité et sa contemporanéité, et qu’on la nomme guerre cela ne sera pas contredit (même si certains ont rajouté « humanitaires » pour les faire passer comme « justes et légitimes »).

La guerre à l’intérieur ne se présente pas de manière si évidente : pas de quartiers anéantis sous les bombardements, pas de coupures d’eau, d’électricité, d’obligations de descendre dans des abris. Même si il y a de temps en temps des morts et des bavures, cela reste contenu et expliqué par « le nécessaire maintien de l’ordre », « la rébellion à mater », ou « de gens qui l’avaient bien cherché ».

Mais la constitution depuis des années de la logique « d’ennemis intérieurs » à quoi correspond-elle ? Désigner, année après année, loi après loi, une partie de la population comme suspecte et dangereuse à quoi cela mène-t-il ? Quelles sont les pensées à l’oeuvre ? La proposition politique de « l’identitaire » ( mise en place par Sarkozy avec le Ministère de l’immigration et de l’identité nationale) et aujourd’hui reprise par bon nombre d’intellectuels, de partis, d’organisations, à part travailler à séparer et constituer des blocs antagonistes dans la population sur des bases raciales, religieuses, ethniques, quelle est sa raison ?

On connait tous le vocabulaire, les mots officiels, repris par les partis, une partie de la presse et les sociologues appointés par les ministères : quand ce n’est pas « immigrés », c’est « musulmans » ; quand ce n’est pas « jeunes de banlieues », c’est « jeunes issus de l’immigration » ; quand ce n’est pas « femmes voilées », c’est « les dangers du salafisme » etc… Mais jamais : « gens du pays France ».

On sait la division que certains claironnent dès qu’ils le peuvent entre « ceux de souche » et « les autres », le « nous et eux », la séparation à l’infini des gens qui habitent tous ce même pays.

On sait tous le traitement sécuritaire appliqué à toute contradiction, tout problème social : la misère, la désespérance de pans entiers de la jeunesse populaire, l’abandon des services publics, tout cela justifié par le fait « qu’il y a des populations particulières » à surveiller et à mater, qui ne mériteraient rien d’autre que cette politique sécuritaire.

On sait le traitement des étrangers sans papiers, les camps d’enfermement nommés rétention, les lois d’exception ( la dernière en date de Macron/Collomb dépassant tout ce que les Le Pen pouvaient espèrer faire si ils arrivaient au pouvoir ! ).

On sait les gens refoulés, renvoyés à la mort, les camps de fortune attaqués et détruits par les CRS.

On sait la persécution quotidienne, pensée, organisée, voulue, construite dans sa minutie.

On sait la répression brutale de toute initiative qui échappe au pouvoir : les ZAD comme exemple.

On sait la généralisation des lois d’exception.

Alors, il faut nommer les politiques : celle-là est criminelle, faite exclusivement de tensions, de police, d’emprisonnements. On peut dire qu’elle porte la guerre civile comme proposition. Le chef de l’Etat se porte garant de sa maîtrise : c’est lui qui la mène et non des bandes armées « indépendantes ». Cela peut rassurer certains : « l’Etat s’en occupe », vieille tradition peu glorieuse. Cela encourage d’autres à la développer pour leur propre compte. Mais guerre il y a.

Alors voilà, à mes yeux, tout l’intérêt de mon point de départ : il est possible, nécessaire, urgent de travailler de manière inventive à l’entente entre les gens dans ce pays. Un Pays, c’est les gens qui l’habitent. Un Pays, c’est l’intelligence, la pensée partagée, les tentatives en commun pour la paix, les droits, la dignité de chacun.

Jean-Louis

Avril 2018

Article en PDF : guerres, identités, entente entre les gens