LA FABLE DU « NOUVEL ANTISÉMITISME »  ET LE REEL DES POLITIQUES DE TENSIONS CIVILES.

Il n’y a pas plus « d’antisémitisme ancien », qu’il n’y a « d’antisémitisme nouveau » : l’antisémitisme ayant une longue histoire en France et en Europe, qu’il soit, suivant les périodes, porté par l’Eglise ou des Etats, ou les deux en même temps, et n’a jamais disparu. Ses justifications sont toujours les mêmes à travers les temps et il a toujours signifié, quand il est devenu une affaire d’Etats et de gouvernements, que les temps étaient à la guerre et aux politiques criminelles de masse, ouvertes et assumées.

On peut se dire que la France n’est pas si touchée que cela pour l’instant quand on voit ce qui se dit et se fait en la matière en Hongrie, en Pologne, en Russie, en Autriche, et cela au plus haut niveau des responsables étatiques et gouvernementaux.

Par contre on peut s’interroger sur les propositions et les politiques qui exacerbent, ici dans ce pays, les tensions civiles qui structurent la politique depuis plusieurs années.

La fable d’un « nouvel antisémitisme », présentée dans une tribune dans le Parisien du 21 avril 2018 en fait partie, et peut être elle-même, par les conséquences qu’elle induit, porteuse d’antisémitisme.

Cette fable est racontée par une belle brochette d’individus qui ont pour beaucoup déjà fait leurs sinistres preuves (par les lois, les mesures politiques ou les propagandes intellectuelles qu’ils ont commises).

1) Reprenons : voilà qu’aujourd’hui, drapés dans un anti-racisme de combat, on voit des Sarkozy, Ferry, Estrosi, Valls, Wauquiez… signer une tribune contre l’antisémitisme. Eux qui sont bien sûr connus pour leur grand esprit anti-raciste, de paix et d’ouverture  !

En lisant leur tribune on voit vite que leur grand élan déclaré contre « l’antisémitisme nouveau » a une seule et bonne raison d’être : il s’agit d’en accuser, d’en rendre coupable ce que le sinistre Val (plume de cet écrit) nomme : « l’antisémitisme musulman ».

Là on comprend mieux pourquoi les loups sont sortis du bois ! De l’antisémitisme, ils n’en ont à vrai dire pas grand chose à faire : pas un mot sur les régimes européens cités plus haut et qui affichent leur antisémitisme sans complexe en accord avec leur volonté de chasser les migrants. Or dans cette partie de l’Europe l’antisémitisme d’Etat constitue historiquement un symbole grave et alarmant.

Il s’agit principalement pour ces signataires, qui, au nom d’une pseudo défense des juifs de France s’autorisent d’eux-mêmes à parler à leur place, de désigner les musulmans à la vindicte de tous, en leur attribuant la responsabilité exclusive de ce fameux « nouvel antisémitisme » qu’ils ont eux-mêmes décrété (au passage on peut noter qu’ils n’ont pas osé aller jusqu à dire que ce sont les musulmans de Hongrie, d’Autriche, de Pologne, de Russie… qui seraient à la manœuvre !).

2) Il apparait vite que cette tribune n’a qu’un seul but : se servir des juifs, les mettre en première ligne contre les musulmans. Se servir des musulmans, les mettre en première ligne contre les juifs.

Cela a un nom : fomenter la guerre civile, monter des groupes les uns contre les autres, créer des fossés, des tensions entre les gens et cela pour des décennies.

Qui comptera les points ? Qui demandera à la police de faire respecter la loi ? Qui dira qu’il faut calmer les milices identitaires qui essaient de se constituer et qu’eux mêmes auront réveillées en leur donnant du grain à moudre ? Les mêmes qui ont signé cette tribune, eux qui resteront à l’abri du haut de leur chaire ou de leur place dans les institutions.

Ils pourront même se payer le luxe, dans d’autres tribunes, d’apparaitre comme de hautes autorités morales qui prônent la répression pour arriver à la paix après avoir donné des bidons d’essence à des pyromanes.

3) Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des partis, des groupes divers, des militants de la guerre civile aujourd’hui dans ce pays, et au delà en Europe. Mettre le pays France, ses habitants donc, en tension continuelle est leur préoccupation principale. Intellectuels, partis, groupes politiques et religieux, se réclamant de telle ou telle communauté, religion, ou bien laïcs intégristes… leur pensée est la même : Pour eux, des gens différents ne peuvent pas, ne doivent pas vivre dans le même pays, en paix. C’est le fameux « eux et nous » que tout le monde a déjà entendu, et dans le quel tout un chacun peut se reconnaître s’il accepte les termes de ce débat identitaire et criminel. Le « eux et nous » est un des points de la constitution dans les pensées de ces tensions civiles, de cette séparation.

Quand on dit : les juifs, les racialisés, les jeunes issus de l’immigration, les musulmans…, quand on catégorise des parties entières de la population, et qu’on travaille à les opposer, ou à les mettre en concurrence dans la souffrance, tout cela provoque les mêmes effets : c’est la logique identitaire qui l’emporte, dont les gagnants en dernier ressort sont les groupes anti-migrants aujourd’hui, des gens comme Val et ceux qui justifient les tueries de masse. Rien de positif.

Cette tribune milite pour une telle politique : elle n’est rien d’autre qu’une demande faite à l’Etat de persécuter et de cibler des gens parce qu‘ils sont musulmans.

4) Pourquoi l’Etat est-il si réceptif à ce genre d’arguments et va dans ce sens depuis des années maintenant ?

Les gouvernements et partis que l’on appelle populistes ont non seulement le vent en poupe un peu partout dans le monde (ce qui est une évidence), mais sont surtout le signe d’une transformation profonde des Etats. Sarkozy en France a créé la première rupture importante allant dans ce sens : nous avons eu un populisme qui n’a pas dit son nom mais qui a ouvert à l’Etat sans peuple, l’Etat séparé des gens, cela bien sûr au nom du peuple (« ce que veulent les français … », « ce que me disent les français… » repris en boucle à chaque début de discours).

Hollande a continué dans la même veine et permis à Macron d’entériner la fin de la dualité droite/gauche qui structurait la politique en France depuis la guerre, aussitôt remplacée par la dualité républicains/anti-républicains, où devient anti-républicain quiconque n’est pas d’accord avec le maniement des tensions civiles que pratique le gouvernement (le rapport aux réfugiés par exemple), ou tout simplement en désaccord avec des aspects de sa politique.

5) Nous sommes entrés dans l’ère des régimes basés sur les tensions civiles.

L’état sans peuple, séparé des gens (voir l’article de présentation du Journal des possibles), s’ajuste ou plus exactement a besoin de mettre en place le régime qui correspond à cette pensée, à cette politique pour qu’elle soit viable. Vu le faible taux de participants aux élections, le régime parlementaire classique ne parait plus suffisant pour tenir la population et surtout pour qu’un gouvernement soit reconnu par tous comme légitime à gouverner. Le passage à un régime de tensions civiles (avec l’état d’urgence, véritables mesures d’exceptions incluses dans la loi courante ; le pouvoir grandissant donné à la police ; la dernière loi sur l’asile et l’immigration…) est une réponse pour certains politiques, qu’ils soient dans ou hors de l’Etat.

5) On peut émettre l’hypothèse que nous sommes déjà dans les prémisses d’un régime de guerre civile. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas pour l’Etat d’armer des gens les uns contre les autres, ou de les laisser s’entretuer, mais de faire en sorte que ce soit lui qui régisse et contrôle de bout en bout ces tensions civiles : dit autrement, dans un tel régime, l’Etat reste maitre de la violence tout en décidant des tensions que lui-même organise contre telle ou telle partie de la population. Comme disent certain(e)s de mes ami(e)s des quartiers populaires avec qui je milite : « ils nous font une guerre « douce », qui ne dit pas son nom, mais qui détruit les gens ».

Pour qu’un tel régime se mette en place il suffit de « peu » de choses : une police puissante et crainte ; un Etat fort où les lieux de décisions sont restreints ; la mise en tension continuelle des contradictions au sein de la population par des lois, des discours et des mesures spéciales dont les conséquences sont à la fois attisées et réprimées par la police. Et surtout il faut l’acceptation, par la peur, l’indifférence ou la conviction, que des gens différents doivent vivre, ne peuvent vivre, que de façon séparée et en tensions.
Beaucoup de ces éléments sont déjà là, en place.

6) Qu’est-il possible de faire face à une telle situation ?

  • Tout d’abord sur l’antisémitisme. Il est, comme ce que certains disent de la République française, un et indivisible. Il ne s’agit donc pas de s’interroger si il est nouveau ou ancien, il est à combattre en tant que tel, et il ne s’agit pas de s’en servir pour autre chose comme le fait cette tribune du 21 avril.

  • Il y a à s’interroger sur ce que sont les temps actuels qui permettent à nouveau son déploiement à visage découvert en Europe et aux Etats-Unis, et ce sur quoi cela doit nous alerter : possibilité de mise en place de politiques de guerre contre des parties des populations (étape d’après/pendant le « populisme » ?) ; tensions exacerbées qui mènent à une séparation des gens ; politiques criminelles d’Etat à grande échelle. Les barbelés « anti-migrants », les camps d’enfermement, le cimetière Méditerranée n’en sont-ils pas déjà des signes ?

  • On peut faire en sorte que la laïcité ne soit pas un outil de guerre contre les gens et entre les gens, mais quelque chose qui permette que le rapport de l’état aux gens qui pratiquent une religion soit apaisé, que le rapport des gens entre eux sur ces questions de religion ou non religion soit lui aussi apaisé. Le port du foulard ne doit plus être ce qui structure les débats politiques dans ce pays. On peut et on doit laisser les gens vivre tel qu’ils l’entendent, tels qu’ils sont. Cela, on peut le dire et le faire savoir.

  • Prendre position sur ce gouvernement de tensions civiles : pourquoi si peu de choses ont été dites et faites à ces propos pendant « les mouvements sociaux », comme si tout cela ne serait pas l’affaire des gens ? Et quelle force peut-on avoir face à l’Etat et à son gouvernement si on ne s’affronte pas à ces questions ?

  • Quand des gens se mettent résolument du côté de réfugiés qui cherchent du repos et de l’aide ; quand des gens des quartiers (qui y vivent et y travaillent) disent leur souci de ne pas abandonner les enfants face à l’institution qui, elle, les laisse sur le bord de la route ; quand des parents et des lycéens affirment leur droit à manifester et à s’exprimer sans se faire enfermer par la police pendant des heures etc… tout cela participe d’autres choses que des tensions civiles que manie le gouvernement. Tout cela participe de dire que la paix civile et l’entente entre des personnes différentes est possible et qu’elle est l’affaire des gens eux-mêmes.

Jean-Louis

Mai 2018

Texte en PDF : la fable du nouvel antisemitisme