Pourquoi on se bat ?

Une habitante du quartier de Reynerie revient sur la situation dans le quartier, le bilan qu’elle tire de la bataille en cours pour y conserver le collège et la place possible pour les parents et les enfants musulmans en France.

Pourquoi on se bat ?

1. On se bat pour sauver les enfants du quartier :

Aujourd’hui, on voit des enfants de 8 ans, des primaires et des collégiens traîner dehors dans le quartier alors qu’ils devraient être en classe. Normalement l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans, mais la mairie dit « c’est pas notre problème, c’est le rectorat », le rectorat dit « c’est pas notre problème, c’est le Conseil partemental » le Conseil Départemental dit « c’est pas notre problème ». Mais c’est la responsabilité de qui ? Si ces gens-là voulaient la réussite de nos enfants, ils s’occuperaient des gosses de la rue.

C’est normal, que le principal au conseil de classe, au lieu de compter les jours d’absences de l’élève compte ses jours de présence ? Il fait remonter au rectorat, mais ça sert à quoi ? Le trimestre d’après, l’élève est toujours dehors . Ça commence au primaire : les enseignants signalent un problème, une petite difficulté, au lieu de la traiter de suite, on laisse trainer, CP/CE… jusqu’au collège. Au collège, c’est devenu un plus gros problème, tout le monde travaille et cet enfant, lui, n’y arrive pas ; il traine sa difficulté avec lui, alors il va chercher des gens qui vont l’aimer, qui vont le valoriser. Qui donc ? Le Conseil Départemental ? Je ne pense pas, c’est eux les premiers à l’insulter. Alors il va se tourner vers la rue. Parce que eux vont lui donner cet amour-là, ils vont l’admirer. Ce que ses parents ne lui ont pas dit, ce que ses copains ne lui ont pas dit, ce que l’école ne lui a pas dit, eux vont lui dire, le faire se sentir important, accepté. Alors, même s’il sait que ce qu’il fait n’est pas bien, l’enfant le fera quand même, parce que les adultes l’ont abandonné.

En cassant le collège, en dispersant les enfants, le CD et le rectorat aggravent les problèmes du quartier. Quand on dit « collège de proximité », on ne parle pas que de la distance, du trajet, on parle surtout de la proximité humaine . D’après mon expérience, notre collège est comme un collège de village, on connaît les profs, on connaît les surveillants, et eux nous connaissent. Il y a une confiance qu’on ne trouve pas ailleurs, et qui a été construite sur des années. Par exemple, il y a un petit souci avec ma fille ? Je n’ai pas envie de prendre rendez-vous, je veux régler ça de suite, j’attends la récré, je sonne, j’entre et je vois le professeur. 5 minutes, c’est réglé. Pareil s’il y a un problème, le professeur appelle, ça n’a pas le temps de gonfler.

Les enfants, même quand ils ont quitté le collège, reviennent pour demander conseil aux profs. Certains surveillants habitent le quartier, et quand les enfants les rencontrent, ils les écoutent, ils font attention à bien se tenir devant eux. Même nous les parents, ça nous arrive de leur demander des conseils, parce qu’il y a cette confiance mutuelle.

Ça on ne peut pas l’avoir ailleurs ; quand il y a la distance, on ne peut pas. Même pour la remise des bulletins, assister au conseil, etc.. ce sera très dur. Parce qu’il y a le trajet, les petits à la maternelle ici, les gens qui rajoutent leur travail à tout ça, Ça éloigne les parents de l’école, ça éloigne les enfants des parents, ce n’est pas bon du tout .

2. On se bat parce que nos enfants sont français avant d’être musulmans .

Ici, dans le quartier, il y a beaucoup d’inquiétude des parents pour cadrer les enfants : savoir où ils sont, pouvoir les récupérer, ne pas les laisser traîner. C’est pour ça que certains ont accepté d’envoyer leur enfant dans le collège du Conseil départemental, même s’il y a plus de 40 minutes de trajet, parce que le CD leur a promis qu’il mettrait un bus spécial le matin pour les amener et un autre pour les ramener.

Beaucoup d’autres parents essaient le privé, par exemple, ma copine Aïcha. Elle est musulmane, mais elle ne fait pas la prière, elle ne fait pas le ramadan, et pourtant elle a mis son fils au collège musulman. Pourquoi ? Pas parce qu’elle est contre l’école publique, mais il y a trop de galère, trop d’absences, il faut laisser ton travail chaque fois, tu dois toujours réclamer, manifester, écrire au rectorat pour remplacer les profs, pour avoir le minimum.

Moi, mes enfants sont musulmans, mais je refuse de les mettre dans le privé. Pourquoi ? Parce que dans l’école publique, ils sont mélangés avec tout le monde, ils rencontrent des élèves d’autres origines, même s’ils sont surtout arabes ou noirs, et ils rencontrent aussi des profs et des surveillants qui n’habitent pas le quartier. Quoi qu’en pense le conseil départemental, la mixité est déjà là au collège et à l’école. Je ne juge pas les autres; mais moi, je n’ai pas envie de vivre dans une ile, je veux que mes enfants découvrent les autres, les coutumes, les religions, etc.

Puisque tu as choisi de vivre avec tout le monde, tu dois être mélangé avec tout le monde.

Il faut comprendre que nous on n’a aucun souci avec ça, on est ouverts, vraiment. Mais dans le reste de la société, beaucoup ont du mal à nous accepter comme nous sommes. Heureusement, ce n’est pas tout le monde, mais ça existe, chez certains profs par exemple, mais aussi et surtout chez des responsables comme ceux du Conseil Départemental qui parlent des enfants comme de la graine de terroristes, ou ceux du rectorat qui ne font que rabaisser les élèves du quartier. Ils font en sorte que l’enfant qui entend ça se sente inférieur, juste à cause de sa famille, de qui il est. C’est comme s’il portait…. comment dire ? Comme s’il portait un crime sur son dos.

C’est dur quand tu es à l’école et que tu entends des soi-disant responsables parler comme ça de toi et de tes parents : « on a raté 30 ans d’intégration ». « Le collège de l’échec », « les CSP défavorisées », « le ghetto... » A cause de ça, ma fille l’an dernier a passé une année vraiment horrible. Elle était en 5°, très bonne élève, mais à la fin de l’année, elle a baissé les bras et n’arrêtait pas de me dire « de toutes façons, on ne va pas réussir, ça commence par le nom, le prénom, le quartier où on habite… Maintenant, le collège où on étudie, on dirait qu’il est déjà fiché S, tous lesélèves sont nuls ». Un enfant de 12 ans qui dit ça, il traine avec lui une difficulté énorme.

Un jour, mon mari qui malgré plusieurs diplômes de l’enseignement supérieur ne trouve que des petits boulots non qualifiés expliquait les maths à ma fille. Au bout d’un moment, elle s’est mise en colère :  « Ça sert à rien , tout ça, Baba. Un jour, je vais devenir comme toi, j’aurai les diplômes et je vais les ranger au placard. Alors il vaut mieux ne rien faire. ». Ces enfants-là n’ont plus de rêve.

A force de ressentir ça, arrive le moment de l’adolescence, le moment où l’enfant se construit comme adulte, et il a envie de montrer qui il est. Par ex, pour une fille, porter le foulard à cet âge-là, c’est une façon de dire : « je suis musulmane, mais je ne suis pas terroriste, je travaille bien à l’école, je veux avancer dans la vie, » C’est comme ça pour la plupart. Il y en a après qui vont l’enlever, se rendre compte que toute la société ne pense pas comme ça. Au Maroc, c’est l’inverse de la France, beaucoup de filles ne sont pas voilées, parce qu’elles n’ont pas ce problème d’identité.

3. On se bat pour la France du drapeau :

En France, on voit toujours le drapeau « Liberté, égalité, fraternité ». Mais on dirait que ce n’est pas pour nous, les musulmans. Par exemple, les nudistes, on les accepte, ils ont même eu le droit de se promener comme ils veulent dans un grand musée. Moi je ne suis pas contre, c’est leur droit s’ils se sentent mieux comme ça, mais pourquoi pour un petit bout de foulard, on t’empêche d’aller à l’école ?

Quand un enfant rentre à l’école, on ne doit pas regarder sa religion ou son origine, on doit voir seulement la personne. Tel élève est venu et cet élève-là est égal à l’autre. Qu’est-ce qu’on va lui donner pendant ces 4 ans pour qu’il fasse des études, et qu’est-ce qu’il va donner lui pour faire son pays ?

Dans les pays arabes même s’il y a la pauvreté, la guerre, il y a toujours cette reconnaissance pour le pays, l’idée que ton pays te donne et que tu dois lui rendre en retour. Ici, les enfants, on ne leur a pas appris cet amour-là. Je trouve que c’est grave. La plupart sont nés en France, mais un enfant qui a sa pièce d’identité française te dit « je ne suis pas français. » Et au bled, on est des immigrés. Cet enfant là, comment il va faire pour grandir ? Il est de nulle part. Il a double nationalité, mais il ne ressent rien ,ni pour ici, ni pour là-bas. Et quand ils sont grands, ils ont leur diplôme, ils ne trouvent pas d’emploi, ils quittent la France, ils vont voir ailleurs, c’est un vrai gâchis.

Les gens du Conseil départemental disent « On est là pour la réussite de ces enfants, » et ils commencent par une bombe : « ces enfants-là, c’est un danger pour la République » Ça veut dire que nos enfants  ne font pas partie de la République ?

Ils ont fait des études de politique et ils commencent leur discours avec ça ? C’est nul. Ils insultent la personne pour lui dire « je vais t’aider », et ils s’étonnent que les gens ne veulent pas suivre ? Les gens disent «  je vaux mieux que ça, tu ne m’écoutes pas, tu ne me respectes pas. »

Pour moi, ces gens-là ce n’est pas la France, c’est des gens qui ont leur poste, qui ont le pouvoir et qui donnent une mauvaise image du pays. Parce que nous, quand voit la France, on voit le drapeau qui dit : « Liberté, Egalité, Fraternité », qui nous respecte et que nous respectons.

Ce drapeau, c’est ce qui nous redonne espoir. Moi quand je ne vais pas bien, je vois ce drapeau, ça me rassure, je me dis qu’on a des droits, que si on les cherche, on va les trouver. Il faut juste ne pas attendre, ne pas compter sur les autres, ne pas se dire « on ne peut rien faire », mais avancer, trouver d’autres gens pour avancer ensemble, et pousser les enfants à avancer aussi.

Pour donner aux enfants l’amour du pays, il faut commencer par le respecter et respecter ses parents.

Un enfant que tu ne respectes pas ne va pas t’écouter. Pour être en sécurité, un enfant doit sentir l’amour, se sentir entouré.Quand un enfant fait des bêtises, il teste, pour voir si ses parent sont là pour le protéger, s’il peut compter sur eux ou pas. Aujourd’hui, beaucoup d’enfants dans les quartiers populaires se sentent abandonnés, ils voient ces gens qui méprisent leurs parents, les appellent « ratés » parce qu’ils font des métiers manuels, ces gens qui se permettent de choisir pour eux que leur enfant doit aller au collège de l’autre côté de la ville, parce que les autres ne veulent pas se déplacer… alors cet enfant-là, au lieu de grandir bien dans sa peau, risque de développer une personnalité un peu fragile ou d’emmagasiner la colère.

4. On se bat parce que personne ne doit parler à notre place.

Aujourd’hui, les gens ne parlent pas, parce qu’ils se sentent comme des criminels, qui trainent leur crime avec eux. Ils n’osent pas dire ce qu’ils pensent. A un moment donné il faut dire  « stop ! Je suis musulmane, je ne suis pas terroriste. Les terroristes, je ne les accepte pas, les gens qui veulent détruire le pays je ne les accepte pas. » Je suis la première à sortir pour dire que je ne les accepte pas.

Le problème, c’est que même si les gens ont envie de dire ça, ils ont peur, ils pensent, « même si je le dis, ils ne vont pas me croire ; et si je dis que je veux garder le collège de Reynerie et y mettre mon enfant, ils vont m’appeler intégriste ou je ne sais pas quoi ». Non, il faut dire stop, c’est pas mon problème, je ne vais pas trainer des difficultés que les autres ont créées pour moi, non ! Je suis musulmane comme un autre est chrétien ou un autre est athée. On se respecte, il n’y a pas de souci.

Qu’est-ce qui nous réunit ? C’est les enfants. Est-ce que moi je serai là pour mes enfants ? Peut-être que je ne serai plus là, mais qui va en profiter ? C’est la France, pas moi. Nationalité ou pas, ils sont français. Quand un enfant dit «  je ne sais pas si je suis français ou marocain, ou algérien… » il faut lui répondre clairement : « Tu es né ici, tu vis ici, tu vas à l’école ici, tu parles la langue couramment, tu es français. Musulman, athée, juif, François comme Fatima, comme Rachel, c’est pareil. C’est ça la mixité. » `

C’est pour ça qu’on se bat, pour nos enfants, pour leur montrer qu’on n’est pas ce que le CD dit de nous, pour leur montrer aussi une autre France, celle que j’appelle La France du Drapeau, comme la France de l’Assemblée où on se retrouve ensemble des parents, des enseignants, des habitants à se battre pour que tous les enfants puissent trouver leur place dans ce pays.

Nour

Septembre 2018

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