A la préfecture, l’état nous propose un possible pour notre vie, pour le pays. On peut faire un autre choix.

Je vis en France depuis 17 ans. Je suis restée 11 ans sans-papiers, puis j’ai eu une carte d’un an, à renouveler tous les ans, pendant 5 ans, et je viens d’obtenir une carte de résident de 10 ans.

En étudiant le nouveau projet de loi « Asile », j’ai vu dans le préambule qu’ils disent faire cette loi pour améliorer le processus d’intégration. Mais pour moi, c’est tout le contraire, c’est une loi faite pour exclure, pour maintenir les gens en situation d’étrangers.

Pour moi, l’intégration, se fait quand on travaille et qu’on vit avec les gens. Quand on obtient la carte pour la première fois, on doit aller à une journée d’intégration. On y passe un test de langage et on assiste à une réunion pour nous expliquer les lois de la république. Dire aux gens d’apprendre le français, c’est normal, dans un pays, il faut parler la langue mais à cette réunion, on fait comme si les gens venaient de nulle part, il n’est pas tenu compte de leur vécu. Par exemple, on nous explique que «  vous savez, en France, quand on vole, on va en prison » comme si là d’où on vient, le vol était autorisé, ou encore « Ici, l’éducation pour les enfants, c’est le papa et la maman »  On nous prend pour des idiots qui ne savent pas vivre et la France est là pour nous l’apprendre. Tout ce processus est faux, il exclut les gens. L’intégration telle qu’ils la conçoivent, pour moi, c’est l’exclusion, le rejet. Ils nous demandent de tout gommer de notre parcours, ils essaient de nous reformater.

Ce que moi j’appelle l’intégration, c’est parler la langue, travailler, tisser des liens avec d’autres habitants, que les enfants soient scolarisés, trouver un logement, un travail, avoir ses habitudes, des amis… vivre. Une fois installés, ça y est, on est d’ici, la vie est ici.

Quand je suis venue en France, je me suis tout de suite sentie chez moi, je n’ai eu aucun problème avec les gens, dans la vie courante. Le seul moment où je me sens étrangère, c’est quand je vais à la préfecture. Il y a un fossé entre ce que je vis au quotidien dans ma ville, avec mes amis, mon travail et la façon dont je suis considérée à la préfecture où on me rappelle toujours que je suis étrangère, pas d’ici.

J’y ai trouvé une forme d’exclusion : on est toujours suspects, à chaque renouvellement, on doit prouver notre identité, prouver que nos parents sont bien toujours les mêmes, qu’on est bien toujours né au même endroit, etc… ils nous redemandent toujours les mêmes papiers comme si ça changeait d’un an sur l’autre. Pour la carte de 10 ans ils nous demandent de fournir les preuves de notre présence régulière sur le territoire alors que c’est eux qui donnent les cartes d’un an ! Tout est fait pour qu’on soit seul, en position d’infériorité, isolé. Les agents de la préfecture nous parlent derrière des petits guichets vitrés, comme si on était dangereux. On dirait qu’ils ont peur de nous. Quand je vais à la préfecture, pour eux, je suis menaçante mais dans les faits, c’est moi qui me sens menacée.

J’appréhendais le renouvellement. Ils arrivent à nous mettre dans des situations d’étrangers au pays.

Je pense que c’est vicieux. Si je n’étais pas assez forte, si je n’étais pas entourée, je vivrais tout le temps avec le moment de la préfecture où je me sens étrangère. Les gens à qui on le fait sentir le gardent en eux d’une façon ou d’un autre. Moi, j’ai réussi à séparer la préfecture de ma vie, mais beaucoup de gens intègrent ce sentiment d’être des étrangers quoi qu’ils fassent. Par exemple, quand on parle des habitants des quartiers populaires, c’est dans la continuité de ce qui se passe à la préfecture, ce sentiment d’être étranger.

Je trouve terrible de montrer aux gens qu’ils ne seront jamais du pays à part entière. C’est un mépris total.

Je n’ai jamais séparé que ce qui se passe à la préfecture de ce qui se passe dans le pays. C’est une continuité. Le rapport aux étrangers est significatif. Nous, on apparaît parce qu’on est visibles, mais c’est le même rapport à toute une série de gens. Ce mode de fonctionnement est partout, pour le gens précaires, pauvres, toute la population qu’ils jugent en trop.

Quand je parle de la préfecture, c’est la question réelle du pays que je pose, la question du pays qu’on veut. Un pays divisé, avec des populations en marge ? On peut faire un autre choix, celui de vivre dans un pays ensemble avec nos différences. On nous pousse tout le temps à nous méfier des autres, à les voir en ennemis. On vit, c’est l’essentiel. Il n’y a pas d’ennemis, le pays est pour tous. Toute personne vivant en France compte.

Le possible, c’est d’avoir une autre vision, une rupture de pensée. Cette rupture, c’est se poser la question de ce qu’on veut. Elle se fait en se disant : « c’est moi qui décide de ma vie, qui décide de qui je suis ». Pour moi, elle est forte, je sais qu’au quotidien, je vis ma vie, je ne suis pas étrangère, je suis du pays à part entière, même sans la nationalité, parce que c’est ma décision.

L’état et les politiques n’ont pas à toujours nous infantiliser. On est capables de dire « Le pays, c’est nous tous. »

Zoubida

Avril 2018

Article en PDF : Z préfecture