Discussions, surprises et reflexions pendant des grèves au CHU de Toulouse

Début Mars, un ami infirmier m’a proposé d’assister à une Assemblée Générale du personnel hospitalier du CHU de Purpan afin de rencontrer certains de ses collègues qui depuis des mois organisent des grèves et des manifestations contre la réorganisation de l’Hôpital et de ce que cela crée comme difficultés pour l’exercice de leur métier.

J’étais le seul « non hospitalier » dans cette AG, mais ma présence n’a posé aucun problème aux grévistes présents, et au contraire certains ont pris le temps de m’expliquer dans le détail ce qu’ils vivaient.

Les quelques points qui suivent ne se veulent pas un compte-rendu de ces débats, de ce qui a été dit, mais correspondent à mes interrogations suite à ces discussions. Ce sont des points que j’ai envie de mettre en débat avec tous ceux que cela intéresse, et « en direct » si il m’est à nouveau possible de rencontrer des employés du CHU.

1) Tout d’abord, quand un infirmier, qu’il soit en psychiatrie, aux urgences ou ailleurs, commence à vous parler de son métier, il vous en parle avec force, conviction et affirmation. Ce qui prime pour elle ou lui, c’est le rapport aux malades, aux soins : ne pas avoir le temps pour porter l’attention nécessaire à chaque patient lui est insupportable. C’est cela que vous rencontrez en premier : des gens qui connaissent et aiment leur métier, qui veulent le faire convenablement et qui vous en parlent avec passion.

2) Ensuite, on vous explique le fossé qui existe entre d’un côté ce souci du plus grand nombre de faire ce qu’il faut pour les patients (exercer convenablement son métier) et de l’autre, le fait que l’encadrement regarde principalement le temps passé par acte et par malade, le côté financier, cela au détriment du rapport au patient, qui inclut le rapport humain, non quantifiable bien sûr et donc non pris en compte.

Les directives institutionnelles qui sont d’organiser l’Hôpital uniquement autour de cette préoccupation financière a des répercussions immédiates pour les infirmiers eux-mêmes, leur vie au travail et à l’extérieur, et bien sûr pour les patients. Cela a comme conséquence de mettre une grande partie du personnel en état de souffrance réelle (« ne pas pouvoir faire ce qu’on sait qu’il faut faire pour les malades »), même si le mot n’est pas obligatoirement employé. Il y a le sentiment de se faire broyer entre d’un côté les directives de l’encadrement, et de l’autre d’en arriver, contre soi-même, à être réduit à maltraiter  des gens qui ont besoin au contraire d’attentions humaines et médicales.

3) Quand j’ai fait part de ma surprise de ne rien voir de tout ça dans les tracts d’appel aux grèves ou aux manifestations, il m’a été renvoyé la même surprise : « en quoi cela peut-il nous aider dans notre lutte contre le GTT ? » (gestion du temps de travail, terme barbare qui en fin de compte justifie ce qui met à mal le fonctionnement de l’Hôpital).

J’en ai re-parlé avec mon ami infirmier, et nous sommes tombés d’accord sur la question suivante : est-ce que l’essentiel est de s’adresser aux « décideurs » : la Direction, les institutions, etc… où alors, dans la situation actuelle de blocage et de passage en force, l’essentiel ne serait-il pas d’échanger et de partager avec tous ceux qui ont le souci de l’accès aux soins pour chaque malade dans de bonnes conditions ; pour que chaque patient soit pris en compte pour ce qu’il est, pour ce dont il a besoin, et non pour ce qu’il coûte ou rapporte éventuellement à l’Hôpital ?

Aborder la question ainsi permet de ne plus être principalement dans le rôle connu de « l’oppositionnel » aux plans des gouvernements et autorités successifs, mais de déplacer les débats sur ce qui nous importe vraiment : ce qu’il advient de la prise en compte de tous les patients, et ce que deviennent le métier et la vie des soignants.

Cela interroge aussi chacun sur la possibilité de tisser des alliances nouvelles, hors personnel hospitalier, en permettant que ce débat sur la santé interpelle chacun dans la société.

Changer de terrain peut marquer une rupture pour ne plus se focaliser sur les « plans de restructuration », ce qui est épuisant et ce à quoi travaille l’encadrement. On peut être forts si on investit d’autres débats et terrains que ceux convenus d’avance (« ceux qui veulent des réformes » et « les archaïques », « ceux qui veulent faire des économies » et « les fonctionnaires privilégiés et irresponsables » etc…).

Autrement dit, peut-on être capables d’éviter le piège tendu du face à face tel qu’il est ouvert par les institutions, et ouvrir un autre champ de possibles, où ce n’est pas l’antagonisme et l’affrontement sur les plans de réorganisation qui est le centre, mais bien : « où en est-on de la prise en compte réelle de chaque patient ? Pourquoi cela devient-il de plus en plus difficile à assurer et que faut-il pour y arriver ? »

Ainsi il devient impossible aux autorités de se défausser « sur des problèmes de communication » et le fameux : « on va vous expliquer ».

Et le débat peut avoir lieu clairement sur ce que chacun (autorités, personnels, patients, tout un chacun dans le pays) veut. Comment chacun se positionne, se prononce et agit pour un accès réel à la santé pour tous, avec des conditions de travail dignes pour le personnel.

Jean-Louis

Mars 2018

Article en PDF : CHU