Le possible contre la fatalité

Fatalités

« Ce n’est pas possible. » « Ça ne servira à rien. » « Comment veux-tu ? » « Sans soutien, nous n’avons aucun poids. » « Nous ne serons jamais assez nombreux pour compter vraiment. » « De toutes façons, moi, dans ce pays, je ne compte pas. »

Je pourrais écrire d’autres phrases tout aussi défaitistes, nous en avons tous entendu suffisamment. Elles accompagnent toutes un sentiment d’impuissance, un mépris de soi-même, une douleur profonde. Je préfère vous parler de ceux qui, au contraire, quand ça ne servira à rien, se lèvent et transforment les choses.

Situation

Le conseil départemental a décidé de fermer le collège Badiou, au Mirail. La décision n’est pas venue toute seule, elle a été accompagnée par un message politique. Ce déplacement devait se faire pour la mixité sociale.Vous allez me demander ce qu’est la mixité sociale, c’est d’avoir dans chaque classe des enfants issus de tous les niveaux sociaux, des riches, des pas riches et des pauvres. Est-ce que ça sert à quelque chose ? Ce n’est pas prouvé : lorsque les quartiers sont marqués socialement (riches, pauvres), il est impossible de pratiquer la mixité sociale. Dans les quartiers pauvres, les résultats scolaires sont souvent moins bons, ce ne sont pas les pauvres qui peuvent offrir des cours particuliers à leurs enfants.

Le mot de mixité n’est pas venu seul, d’autres l’ont accompagné. « La situation est explosive. » « Bombe à retardement. » « Danger pour la république ! » Ces mots disaient le mépris et la haine pour ces enfants et leurs parents. Comme si les meurtres de masse imposaient d’éloigner les enfants de leur famille. Ces discours violents sont venus agresser des familles, j’ai vu des dames au bord des larmes d’entendre que leur enfant était considéré comme une bombe a retardement.

Pour qu’un autre collège soit construit il faut quelques années. Le plus simple aurait été d’attendre la nouvelle construction avant de fermer, c’est ce qui se passe d’habitude. Mais non, compte tenu des phrases ci-dessus, il y avait une urgence absolue d’empêcher l’explosion, donc il fallait que les élèves soient éloignés au plus vite de leur collège. Qu’importe si tout le monde sait que l’éducation se passe mieux quand le trajet pour aller au collège est le plus court. Qu’importe si les responsables devenaient incohérents (puisque les aides scolaires n’ont pas suffi à transformer le quartier, cette génération en sera privée)…

La “solution” était toute trouvée : envoyer les enfants de sixième dans les autres collèges de Toulouse. Jusqu’à l’autre bout de la ville. Qu’importe que, si un enfant est malade, les parents ne puissent pas se déplacer pour venir le chercher à Balma ou Bellevue ! Qu’importe si ça impose à des enfants de rester au collège en attendant le bus commun ! Qu’importe si ça empêche de faire du sport après les cours !

Réponses

Que faire dans une telle situation ? Revenez au début du texte et vous aurez la plus grande partie des réponses. Mais l’Assemblée Parents Enseignants Habitants se réunissait régulièrement et avait déjà fait du porte à porte dans le quartier. Les parents, les enseignants et les habitants y ont parlé de cette situation. Ils auraient pu, comme tout le monde, se désoler et s’en tenir là. Ils ont décidé de se battre en demandant un moratoire, au moins. Un moratoire aurait permis de trouver des solutions à tous les « petits problèmes », ceux énoncés plus haut et les autres, innombrables.

Les premières réponses aux interrogations des parents étaient lénifiantes. « Les parents auront le choix. » Les suivantes un peu moins. Quand pour faire la mixité, les parents ont proposé que ce soient les enfants de riches qui viennent à Badiou, la réponse a été très claire : « Ils ne voudront jamais. » Belle rupture d’égalité ! L’égalité, pourtant, l’un des trois mots qui ornent les frontons des écoles.

Alors, il faut se lever, parler avec les autres, parents, enseignants, habitants, faire des choses ensemble, organiser une manifestation, puis d’autres, occuper une école, le collège. Être reçus en délégation. Poser encore et encore les mêmes questions. Demander pourquoi ces enfants sont traités de bombes. Demander pourquoi ces enfants n’auront pas les mêmes moyens que les autres. Ne pas être entendu dans ce que l’on dit parce qu’on est « manipulé ». Entendre des mensonges, des chiffres modifiés, des statistiques falsifiées. Subir, même en délégation, le mépris. Comme ces dames à qui une fonctionnaire a demandé « Vous êtes ici, mais vos maris, est-ce qu’ils savent ce que vous faites ? » Ce à quoi l’une a répondu « Mais, Madame, nous sommes émancipées ! »

Conséquences

Que reste-t-il de tout cela ? Rien diront les défaitistes du premier paragraphe. Oui, pour l’instant le collège est toujours sur la voie de la fermeture. Et le second qui devait être fermé à la rentrée 2018 ? La fermeture est suspendue. Tiens, n’est-ce pas déjà une victoire ? Mais surtout, les familles qui ont demandé des dérogations à la carte scolaire (ceux qui ne veulent pas que leurs enfants aillent à l’autre bout de l’agglomération), ont obtenu ces dérogations. Là où il y a bataille, la règle rectorale ne s’applique pas.

Leçons

Mais pourquoi ? Quelle est le poids de ces dames, de ces hommes ? Aucun, on vous l’a dit au premier paragraphe. Aucun poids, nous ne comptons pas. On ne compte pas si on ne réagit pas. On ne compte pas si on ne fait rien. On ne compte pas dans leur monde. Mais on compte tout à fait dans nos actes, nos réflexions, nos décisions. Ce n’est pas possible, sauf si on se décide à essayer, alors, tout à coup, le possible se profile à l’horizon.

Pourquoi ces personnes se sont-elles mises à agir ? Pour quelques idées :

  • que tout enfant est un élève,

  • que l’école maintient l’espoir d’une vie correcte,

  • que tout le monde doit avoir accès aux mêmes moyens,

  • que enfants et parents ne doivent pas être insultés,

  • qu’on ne ferme pas un collège avant d’avoir construit son remplaçant,

  • que ces parents savent mieux ce qui est bon pour leur enfant que le Conseil départemental.

Et aussi, comme le disait une mère : « Au moins je pourrai regarder mes filles en face, j’aurai fait ce que je pouvais. » Rien que cela serait déjà une victoire, face aux insultes et au mépris, cette dame a su rester debout et je ne doute pas que beaucoup des fatalistes aimeraient être aussi admirables qu’elle.

Robin 18/8/2018

Texte en PDF : possibles et fatalité