Que pouvons-nous quand l’Etat ne fixe plus de limites à la police ?

La question n’est pas de savoir si on déteste la police ou si on l’aime un peu, beaucoup, à la folie ou pas du tout. Cela n’a aucun intérêt si on cherche à intervenir sur cette question, c’est à dire à la penser et à transformer un tant soit peu la situation, afin que la police soit soumise à des lois, des règles et des contrôles stricts et que chaque habitant soit traité pacifiquement et avec respect.

Ce à quoi nous sommes arrivés c’est que la police, en tant que corps, avec des syndicats et le soutien des partis, a gagné une impunité quasi totale et est capable d’imposer aux gouvernements successifs certaines décisions politiques. Des actes délictueux graves commis par des policiers, qui devraient être punis sévèrement par le gouvernement et la justice (ils l’étaient il n’y a pas si longtemps), sont aujourd’hui systématiquement couverts et absous par la hiérarchie policière, le Ministre de l’Intérieur et la Justice. Alors que la police devrait être soumise à des règles strictes, de façon à n’avoir aucune possibilité de décision en dehors de ce que lui dicte la Justice et aucun moyen de pression sur le gouvernement, nous assistons à l’inverse.

Nous en sommes arrivés là pour plusieurs raisons, dont 3 essentielles :

1) Il y a bien sûr en premier lieu la mise en place de la « politique sécuritaire » proposée par Le Pen père dès les années 80-90 et adoptée par toute la classe politique. Politique qui fait tout passer par l’oeil policier de la suspicion généralisée et de la surveillance de la population. Que l’on parle de la vie des habitants des quartiers populaires, de la jeunesse, des chômeurs, des ouvriers sans-papiers, des personnels soignants ou autres… la réponse est toujours la même de la part des gouvernements : une nouvelle loi de punition et de répression, un pouvoir supplémentaire donné à la police pour qu’elle puisse traquer et enfermer en toute légalité des catégories toujours plus nombreuses de la population. Pouvoir discrétionnaire donné aux policiers de juger de la vie des gens, de décider ce qui est bien ou non d’après eux, comme on l’a vu pendant le confinement par exemple, où des policiers se permettaient de fouiller les sacs de courses des gens dont ils vérifiaient les attestations, et de décider si ce qu’il y avait dedans relevait ou non d’achats de première nécessité.

La politique sécuritaire c’est le nom qu’a pris la guerre menée par l’Etat contre sa propre population. Cette guerre, les gouvernements l’ont confiée à la police.

2) Depuis Sarkozy la police est présentée comme un corps d’Etat irréprochable « ayant le sens de l’Etat » (discours de Grenoble du 30/07/2010). C’est là une rupture essentielle : alors que les policiers étaient toujours rappelés à leur rôle de serviteurs de l’Etat, ils deviennent, avec Sarkozy, co-penseurs et co-acteurs de ce même Etat.

Dire « la police a le sens de l’Etat » c’est l’autoriser à intervenir directement dans la politique en tant que corps constitué, c’est lui reconnaître ce droit. Bien sûr, certains ne s’en privent pas, notamment les syndicats d’extrême-droite, militants de l’impunité à tout prix, réclamant le droit de légitime défense sans avoir à subir d’enquête, et évidemment connus pour leur prises de position racistes au quotidien. Et quoi de surprenant alors de voir un Préfet comme Lallement à Paris se déclarer publiquement comme « n’étant pas dans le même camp » que des manifestants, ou écrire dernièrement dans un texte adressé à ses troupes qu’il « les soutient contre les accusations de violence et de racisme » dont ils sont accusés, en terminant sa lettre par un vibrant : « Vive la Préfecture de Police !». Nous étions habitués à juste un traditionnel « Vive la République », ou « Vive la France », mais là…

3) Avec le mouvement des Gilets Jaunes, Macron s’est retrouvé face à un réel qu’il ne pouvait imaginer de là où il regarde les choses. Son profond mépris des gens, allié à sa carrière d’homme d’affaires et d’homme de cabinet ne lui avait pas appris que les gens existent, peuvent penser, peuvent se révolter et dire ce qu’ils ont à dire. La peur panique de Macron face aux Gilets Jaunes l’a poussé à se réfugier dans les bras de la police et de la gendarmerie, et à tout leur permettre, pourvu qu’il ne se trouve plus assiégé dans son château. A la suite de cela l’idée que le gouvernement ne tenait plus que grâce à la police a vivement circulé, les policiers l’ont aussi entendue et constatée, et ont saisi l’occasion d’en tirer profit pour imposer leur propre loi : dans la foulée il leur a été accepté de ne pas porter leur numéro RIO qui permet de les identifier en interventions, décision qui revenait à leur dire : « allez-y, lâchez-vous, vous n’êtes soumis à aucune loi, aucune contrainte ». A partir de là le déchaînement contre les GJ a été total : yeux crevés, mains arrachées, tabassages en règles de gens à terre etc… Quand on lâche comme cela un corps armé et entraîné contre des manifestants dans les rues des villes on ne le fait pas innocemment. Le Gouvernement voulait du sang, il y en a eu.

Situation ambivalente où à la fois le gouvernement pousse la police à devenir violente, et où la police ne se le faisant pas dire deux fois y trouve un effet d’aubaine en terme de nouveaux pouvoirs qu’elle peut s’octroyer. A ce rythme là, on va bientôt pouvoir se demander qui tient qui, de la police ou du gouvernement.

Que peut-on faire ?

1 – Il y a bien sûr les manifestations actuelles, très importantes, suscitées par l’assassinat de Georges Floyd aux USA, et pour demander justice ici pour toutes les personnes tuées par la police, et notamment pour Adama Traoré. Manifestations qui voient sortir de nombreux jeunes, très différents et se retrouvant pour demander de l’air et de la justice pour tous.

2 – Il est important de rappeler que nous sommes en paix et que la police ne doit pas être porteuse de l’inverse : faire comme si on était en guerre permanente. Le Gouvernement ne doit pas l’utiliser comme force de guerre contre des parties de la population : habitants des quartiers populaires considérés à tort comme dangereux et étrangers au pays, mais aussi tous ceux qui se retrouvent dans la rue à tel ou tel moment pour discuter et dire leurs désaccords sur la politique gouvernementale : le personnel soignant, les GJ, les enseignants, les précaires et chômeurs etc…

La police n’est pas obligée de traiter les gens comme des ennemis, des suspects, non seulement elle peut avoir des rapports pacifiés avec la population du pays, comme cela s’est pratiqué dans le cadre de l’îlotage, mais elle peut aussi refuser d’alimenter les tensions et travailler à l’apaisement, comme l’ont fait des policiers aux USA, en mettant le genou à terre devant les manifestants, indiquant par là leur refus de les combattre.

Il faut rappeler cela autant de fois que nécessaire, publiquement et collectivement au nom des principes de paix et de respect dû à chaque habitant du pays.

3 – On peut aussi affirmer notre refus de l’approche sécuritaire dès qu’une question réelle apparaît, qui touche à la vie des gens et réfléchir à d’autres solutions, qui tiennent compte des personnes concernées, de leur vie, de ce qu’elles veulent : Quand on parle de logement par exemple, on parle du logement des gens, de leur stabilité, de leur vie sociale, de leur choix, de leur présence possible en ville avec des petits revenus etc… : on ne peut pas justifier des destructions massives d’immeubles et l’éloignement de milliers de gens sous le prétexte qu’il y a du trafic de drogue et de la délinquance car détruire des immeubles et déplacer des gens n’a jamais réglé la question de la drogue et n’a jamais apporté de sécurité à quiconque ! Ce n’est pas de la responsabilité des gens si ces trafics existent et si il y a des vendeurs et des acheteurs. La police a là un travail à mener pour assurer aux gens une vie correcte et tranquille. C’est malheureusement l’inverse qui se passe.

4 – On a laissé faire la mise en place de polices spéciales comme la BAC (Brigades Anti-Criminalité) présentée comme la police des banlieues. Elle agit en étant à moitié cow-boy à moitié voyous et ses interventions, toujours violentes et méprisantes contre la population, font beaucoup de dégâts. Elle ne fait qu’alimenter l’idée que les habitants des banlieues, des quartiers populaires, sont des gens à part, pas tout à fait du pays, qu’il faut « mater ». Avec le mouvement des GJ on a vu cette police intervenir en ville : tout le monde a compris à qui on a affaire. De telles polices doivent être dissoutes, les habitants des quartiers doivent être considérés à égalité avec les autres et non comme des ennemis intérieurs. C’est ce genre de politique et de police qui justifient les meurtres de jeunes comme Adama Traoré et de bien d’autres. Il faut mener la même réflexion sur la PAF, police aux Frontières, chargée de faire la chasse aux sans-papiers.

5 – Savoir quelle police se met en place, quelles limites l’Etat lui impose ou non, quelles lois sécuritaires sont rajoutées ou non nous en dit long sur ce que sont les volontés étatiques en direction des gens : l’Etat est-il en guerre contre sa propre population ou cherche- t-il à avoir des rapports pacifiés ? De toute évidence, depuis 20 ans c’est un rapport de guerre qui est voulu et mis en place.

La question de la police interroge sur le pays qui se met en place, sur le rapport aux gens qui l’habitent. Il est possible à chacun de nous de dire quel pays il veut et de le partager avec d’autres.

Pour notre part nous travaillons à un pays où chacun est compté et respecté. Pour les droits, la dignité et la paix.

Chérif et Jean-Louis,

Juin 2020

Texte en PDF : police-que pouvons nous