Dans le texte qui suit, je soumets à discussions, réflexions, actions… quelques énoncés, eux-mêmes fruits de discussions, réflexions et actions collectives, pour aider à faire face dans la situation actuelle.
1- Il y a 2 façons principales d’aborder la situation : une en intériorité, l’autre en extériorité.
L’aborder en intériorité, c’est penser que l’essentiel de ce qui se passe est entre les mains des gens, quoi qu’il se passe et quels que soient les chemins pris.
Au contraire, penser que les choses sont entre les mains quasi uniques des décideurs politiques, de ceux et celles qui ont le pouvoir, de ceux et celles qui détiennent le capital, et/ou penser qu’elles sont les conséquences de la crise, du chômage, du déclassement… c’est se situer en extériorité, dégager sa responsabilité et subir la situation.
Pour ma part, je fais partie de ceux qui pensent que l’essentiel des choses sont entre nos mains à nous qui sommes présents, qui vivons aujourd’hui et sommes, à égalité, confrontés à des situations précises, significatives de la vie de tous, parce qu’elles touchent à des questions comme les droits pour tous, le respect, la dignité et la justice pour chacun, la guerre et la paix… Quels sont les choix et les décisions de chacun.e face à ces questions ?
Ce point est important car nos choix, nos décisions, modifient le réel et le recomposent : selon qu’on choisit de faire, de dire ce qu’on pense ou veut, ou au contraire qu’on choisit de se taire, de laisser dire et faire d’autres, les choses sont différentes, iront dans un sens ou un autre. Ainsi, il n’y a aucun déterminisme, ni historique, ni politique, ni sociologique : il n’arrive que ce que l’on permet qu’il arrive en fonction de ce que l’on pense.
Bien sûr, il ne s’agit pas pour autant de nier la responsabilité évidente des nombreux gouvernements qui appliquent des politiques de séparations, des politiques guerrières, xénophobes, persécutrices et anti-égalitaires, mais au contraire de les rendre eux aussi, et individuellement, pleinement responsables de leurs actes et décisions. Ils ne peuvent plus ainsi se cacher derrière l’économie, les crises ou une quelconque raison d’Etat : leurs choix les engagent et c’est de cela qu’ils doivent répondre.
Un exemple parmi d’autres :
En Californie et dans certaines villes des USA, des habitants s’organisent pour prévenir et protéger d’autres habitants, systématiquement raflés, embarqués, expulsés par la milice policière de Trump (l’ICE, police de l’immigration) parce qu’ils sont typés « latinos ».
A contrario, en Irlande du Nord, des habitants s’organisent pour violenter et chasser de chez eux des demandeurs d’asile à partir de rumeurs lancées par des militants d’extrême droite.
Participer de la persécution ou s’y opposer et dire publiquement que cette persécution n’est pas acceptable et supportable pour une vie digne, voilà les choix exposés et les décisions prises par chacun.e de ces acteurs. Voilà qui fait le réel et qui donne, à son tour, à penser.
L’intériorité pensée ainsi permet aussi de se tenir loin, à distance, des illusions du champ parlementaire qui demeure, quel que soit le gagnant, le champ de la gestion de l’Etat et donc des choses telles qu’elles sont et telles qu’elles devraient le rester. Champ parlementaire où notre participation est limitée à faire « le bon choix de la bonne personne au bon moment » en demeurant externe aux décisions réelles avant, pendant et après ces fameuses élections. En être libéré permet de prescrire sur ce même Etat, gouvernement, quelqu’en soit le gestionnaire.
Ce qui donne un premier énoncé que l’on peut formuler ainsi :
Il n’y a pas de fatalité ! On peut choisir, décider, dire et faire.
Il n’y a pas de marche obligée vers un régime de plus en plus autoritaire, xénophobe, et persécuteur envers certains.
2° proposition d’énoncé : Définir, cibler et critiquer l’ennemi ne formule pas une pensée, ni n’énonce ce que l’on veut.
La séquence politique où il s’agissait de connaître son ennemi, de l’abattre et de prendre sa place est révolue : on en a vu toutes les limites et les répétitions de dominations que cela a entraînées. L’antagonisme à l’ordre existant n’ouvre plus à soi seul à un possible pour les gens. Des amis l’énoncent ainsi :
« si tu ne fais que cibler l’État et les gouvernements et si tu te positionnes face à eux en tant qu’oppositionnel tu limites ta pensée», « Notre champ est plus grand que le leur car nous pensons pour tous, pour l’égalité, et c’est cela qu’il faut développer ».
Par exemple, c’est dommage que suite à la grande manifestation du 10 septembre à Toulouse, avec beaucoup de jeunes, une AG de fac se focalise sur la police, la répression etc… Une fois que l’on a compris le rôle de la police, ses comportements violents, et les directives politiques qui l’animent, il faut passer à autre chose !
Cela peut-être :
- Quelles discussions entre nous sur ce que l’on veut ? se contenter de dire « il faut abattre le capitalisme et l’état bourgeois » ne répond en aucune manière à comment on tisse des liens réels dans la population pour répondre à la séparation des gens telle qu’elle est opérée depuis longtemps par les gouvernements.
- Comment des contradictions entre des groupes différents de la population peuvent se discuter et se résoudre ? Par exemple entre jeunes et vieux, entre précaires et non-précaires, entre gens des quartiers populaires et les autres, entre croyants en non-croyants etc…
- Comment on prend en compte les pensées et paroles diverses qui existent, sans vouloir les faire rentrer dans des cases pré-établies correspondant à des discours déjà construits, en extériorité totale des personnes qui se mobilisent, ou qui dans de multiples endroits affrontent le réel tel qu’il est. Et comment arriver à en faire une force, une puissance du côté des gens.
Penser en dehors de l’antagonisme définit forcément de nouvelles exigences :
- Travailler à formuler en affirmations ce que nous voulons pour tous, et le faire vivre réellement.
- Mettre en œuvre des batailles qui concernent tout le monde, pour les droits, le respect, le compte de chaque habitant, pour la reconnaissance et la mise en pratique du principe que chaque vie compte, qu’une vie = une vie.
- Réfléchir à comment de tels principes peuvent être débattus et portés dans le pays afin que, quel que soit le gouvernement, ils soient pris en compte par l’Etat.
3° proposition d’énoncé – On peut affirmer qu’un pays n’existe de façon positive que si les gens qui le composent sont capables, subjectivement et pratiquement, de considérer tous ses habitants à égalité. L’Etat et les gouvernements doivent se conformer à cette règle.
De nombreuses sociétés sont aujourd’hui des sociétés composées de gens différents quant à leurs origines, couleurs de peaux, religions… Si on ne sait pas constituer une alliance, une envie de vivre dans le même pays où chacun est reconnu, respecté et accepté par l’autre, il n’y a pas d’issue positive. On a au pire des guerres d’extermination, au moins pire des politiques xénophobes de persécutions, de mise au banc de la société, de séparations des habitants et de vives tensions sans fin créées et entretenues par des gouvernements et des partis.
Cibler en permanences des parties du peuple et de la société, manier la xénophobie, la haine et la méfiance envers une religion amène obligatoirement une corruption des esprits, une corruption des jugements, des institutions… L’idée même qu’il y aurait des gens indésirables, en trop parmi nous, ouvre à la déliquescence de la société et du rapport entre les habitants. Il ne faut pas s’étonner alors que la sinistre idée que la vie de certains ne compterait pas, ou moins, prenne de l’ampleur.
Le RN au Parlement, qui rallie des politiciens de tous bords autour de ses idées est à soi seul le signe de cette corruption.
Qu’un ministre de l’intérieur fasse de son mot d’ordre « A bas le voile ! », mot d’ordre porteur de persécutions civiles et de séparation des gens, l’essentiel du ralliement à sa politique en dit long et doit être combattu.
Face à cela, on ne peut pas rester sur la défensive et ne réagir que quand on pense que le gouvernement ou des groupes d’extreme-droite vont trop loin.
Ne laissons pas faire comme si la xénophobie était hégémonique, montrons autre chose, affirmons autre chose.
On peut mettre en avant les liens d’amitié et d’entraide qui existent déjà entre des gens différents par l’origine, la religion, le lieu d’habitation, la couleur de peau etc. Créons en de nouveaux. Travaillons à partir de ce qui nous rassemble, l’intérêt commun, la volonté de justice, de paix, d’égalité…
De telles pensées et pratiques existent sur des écoles ; dans l’aide aux réfugiés ; dans des quartiers populaires où des habitants disent clairement qu’ils font partie du pays à égalité…
Il ne s’agit plus d’empiler les mots d’ordre anti-racistes, de camp contre camp, mais bien de montrer l’intériorité de chacun à ce pays, les liens réels entre habitants différents et qu’en dernier ressort, c’est cela qui fait notre pays et qui est porteur d’avenir pour tous.
4- Pour le maintien des frontières existantes, et le respect de tous les peuples et Etats.
Alors que des guerres impériales de pillages et des exterminations de masse redeviennent envisageables, possibles, acceptables et acceptées, que peut-on affirmer et tenir ?
a) Tout d’abord, où que ce soit, il faut discerner entre ceux qui agressent et ceux qui sont agressés. L’appétit sans fin des prédateurs impériaux ne peut jamais se justifier ni être soutenu sous prétexte qu’en face « ils sont aussi méchants et capitalistes ».
Il faut être clair sur la situation en Ukraine, et ne pas mettre dans le même sac ceux qui envahissent et ceux qui sont envahis ; ceux qui résistent pour leur indépendance et ceux qui occupent.
Pour ma part, je suis consterné de voir des slogans comme : « de l’argent pour les services publics, pas pour l’Ukraine » car ils empêchent toute pensée sur la situation nouvelle en Europe avec l’invasion de l’Ukraine et nous laisse démunis. Il faut prendre cette question au sérieux, ne pas la remiser au fait « que ce sont tous des capitalistes, ce n’est pas notre affaire ». Un principe sur lequel on ne peut pas céder, sinon on cédera sur tout au premier coup de vent sérieux : rien ne justifie l’invasion d’un pays, la destruction d’un pays existant par une puissance étrangère. Il faut un soutien conséquent au peuple Ukrainien.
b) Le gouvernement Israélien et celui des USA ouvrent une nouvelle séquence terrible, celle de l’extermination de masse possible, aux yeux de tous, au mépris de tous les principes du droit international. Face à cela, la faiblesse de la plupart des États est consternante et inquiétante, pour le sort des Palestiniens en premier lieu, et pour le manque de principes et de force de ces états face à de tels crimes de masse. Cela n’augure rien de bon pour la suite, dans les tensions mondiales telles qu’elles se dessinent.
Macron doit cesser son hypocrisie et intervenir pour faire respecter le droit international et protéger le peuple Palestinien.
Nous pouvons tenir les points suivants : Il n’y a aucune justification possible et acceptable à l’extermination d’un groupe humain, à la destruction d’un peuple. Il n’y a pas de sous-humanité, tous les peuples doivent être traités avec respect et humanité. S’acharner sur une population comme le fait l’Etat Israélien relève d’une politique barbare et criminelle.
Cela peut paraître bien peu au regard de l’horreur en train de se jouer, mais cela permet au moins de tenir un rapport à l’humain, à cet Autre que beaucoup veulent détruire et de ne pas sombrer dans le désespoir.
Il faut faire savoir et s’appuyer sur le fait que sur place des israéliens et des palestiniens, même ultra minoritaires, travaillent à la possibilité que tous puissent vivre à égalité de la mer au Jourdain.
5- Travailler à un lexique qui permette que l’on puisse se comprendre, réfléchir ensemble, penser les situations et définir des possibles.
Il y a aujourd’hui toute une offensive de ce que certains nomment « une stratégie lexicale pour interdire la pensée ». Le but recherché c’est que les mots ne veuillent plus rien dire, qu’ils soient inversés, afin par exemple que l’infâme raciste et persécuteur apparaisse comme un pauvre agneau apeuré devant les critiques qui lui seraient injustement faites…
C’est plus profond que les fake news, les fausses informations. C’est une atteinte à la pensée en tant que telle.
On ne peut s’en prémunir que si on développe sa propre pensée, ses propres principes, et si on les met en partage. Pour cela, on peut se réunir sur des points précis, s’écouter, chercher ensemble des chemins nouveaux.
Sur ce point je renvoie à l’article paru dans le Journal des possibles : « Quels mots ?»
Ce texte n’est qu’une ébauche, un début de travail pour faire émerger des énoncés qui soient effectifs pour nos temps actuels, afin de pouvoir faire face et ne pas être emportés dans ces temps de guerres, de crimes de masse, de persécutions, et de tensions civiles sans fin.
Discutons-en.
Jean-Louis
Septembre 2025
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