Laïcité
J’ai pris l’habitude que des mots ne veuillent plus rien dire. Ça a commencé avec laïcité.
Dans une cantine scolaire, des gens qui avaient mangé du poisson tous les vendredis, à
cause d’une certaine religion, trouvaient intolérable qu’il puisse y avoir des menus sans
porc pour respecter les croyances de certains élèves. Leur arguments reposaient toujours
sur la laïcité alors qu’il s’agissait, bien au contraire, d’intolérance vis à vis de certaines
religions.
Le mot laïcité n’a pas cessé de revenir depuis. Il accuse souvent les filles, les femmes, leurs
vêtements. Il les isole, leur interdit l’école, le lycée, parfois l’université, leur travail…
PSE
J’ai découvert un jour que l’expression utilisée pour annoncer un plan de licenciement
devenait un « plan social d’entreprise. » Traduction « on fait du social en mettant tous ces
gens au chômage. » Mais ça ne suffisait pas, maintenant le PSE est un « plan de
sauvegarde de l’emploi. » Même quand l’entreprise ou la filiale ferme et licencie tout le
monde, elle sauvegarde l’emploi.
Charlie
Et puis il y a eu Charlie. L’attentat contre Charlie hebdo, journal que je pouvais, avant,
qualifier de puant. Que n’ai-je entendu sur la liberté d’expression ! Quelle horreur, ces gens
qui veulent faire taire cette liberté fondamentale ! Il fallait tous « être Charlie ». Mais je ne
me sentais pas Charlie, je n’aimais pas ce journal, d’autant moins quand ils ont re-publié
des dessins venus d’un journal d’extrême droite. Puant.
Dès le jour de l’attentat je n’avais plus le droit de dire le mot « puant » pour parler de ce
journal car sa direction était devenue plus qu’une victime. Il n’y avait plus que deux
camps : les terroristes et Charlie. Il n’était pas possible de condamner ces meurtres sans se
ranger derrière Charlie. Toute personne qui ne se déclarait pas « Charlie » était accusée
d’être complice des meurtres. Je n’avais donc aucun mot pour dire ma condamnation des
meurtres et mon désaccord avec la politique pro-Charlie.
La liberté d’expression, celle qui aurait dû s’appliquer aux auteurs de Charlie, est devenue
un piège. Seuls ceux qui défendaient Charlie y avaient droit. Au nom de la liberté
d’expression il a été demandé à des enfants, des élèves, de dire ce qu’ils pensaient.
Personne ne les a prévenus que eux n’avaient pas de liberté d’expression et que s’ils
disaient quoi que ce soit qui sortait de l’argumentation officielle (terroristes, liberté
d’expression…) c’est sur eux que tomberaient des sanctions violentes : renvoi ou même
expulsion de toute la famille. À un âge où on doit apprendre, dans un lieu où se tromper est
normal, où les erreurs doivent pouvoir être corrigées, ces enfants n’avaient pas le droit de
dire ce qu’ils pensaient ou croyaient.
Islamophobie
J’ai été très choqué d’une déclaration associant la dénonciation de l’islamophobie et les
violences islamophobes, de mémoire : « C’est parler d’islamophobie qui provoque les
violences. » Dénoncer une violence qui s’est déjà produite serait la cause de la violence qui
l’a précédée ?
Terrorisme
Il y a un peu plus d’un an, une action commise par des groupes palestiniens en territoire
israélien a conduit à un massacre et des exactions. Dans les heures qui ont suivi, il fallait
déclarer que cette action était un « acte terroriste ». Je crois que le terme est inadéquat, il
s’agit d’un acte de guerre qui s’est accompagné de crimes de guerre. Pour moi le terme de
terrorisme n’est pas adéquat pour parler de milliers de soldats attaquant le pays voisin.
L’horreur que je ressens en voyant les crimes commis ne change rien au fait que cette
action est un acte de guerre. Cet acte de guerre a été accompagné de massacres de civils, de
viols, d’enlèvements… qui sont des crimes de guerre. Il faut donc les punir comme tels.
Tissons nos propres mots
Vous me direz, ce n’est pas important et puis ce serait difficile de corriger tous les mots.
Mais si chacun se contente d’abandonner les mots qui n’ont plus de sens, nous finirons
tous muets.
Non, il faut travailler avec les mots et les expressions, il faut pouvoir dire ce que nous
avons à dire, pour cela nous avons besoin de mots, de nos mots. Nos mots, à la différence
de ceux qui nous sont enlevés, valent pour tous. Pour tous est donc un de nos mots.
Nos mots parlent de la situation et de ce que nous avons décidé d’y répondre. J’ai fait
partie des gens qui ont travaillé à ce que le mot d’exclusion « clandestin » cède la place à
« ouvrier sans papiers ». Cela a changé les choses, le rapport des gens, concernés ou
pas, à cette situation. Si on dit clandestin, on dit coupable, malhonnête… Si on dit la vérité
de la situation, il s’agit de gens auxquels l’État n’a pas donné les papiers. Sortir de cette
situation est presque facile, il suffirait de donner des papiers.
Dans nos mots il y a « un enfant = un élève » contre ceux qui parlent de collégiens
comme de dangers publics, contre ceux qui veulent fermer l’école et les collèges à une
partie de la jeunesse de ce pays.
Dans nos mots il y a « la France des trois couleurs » que les dames du Mirail ont
inventé pour parler des trois valeurs oubliées de la façade des mairies, liberté, égalité et
fraternité. C’est un beau mot qui parle pour tous et qui donne des couleurs et de la force.
Trouvons et disons les mots de maintenant. Au lieu de nous sentir écrasés par l’actualité
nous recommencerons à respirer.
Robin
20 Janvier 2025
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