Parcoursup : ce n’est pas les jeunes qui ont un mauvais dossier, c’est le gouvernement !

  1. Introduction

J’enseigne en Licence d’Informatique dans une université de « banlieue » de la région parisienne. À ce titre j’ai étudié des dossiers Parcoursup en 2018 et 2019. Plus de 1500 dossiers en tout. C’est un travail énorme mais intéressant et frustrant. Frustrant parce que nous avons 100 places et recevons plus de 2800 demandes, il faut donc refuser presque tous les dossiers, 96% de refus. Intéressant pour ce qu’il m’apprend de ces jeunes qui veulent entrer à l’Université, de leurs arguments, de leur passé, de leurs espoirs.

  1. Une catastrophe préparée

D’abord il faut établir un fait : il était depuis longtemps prévisible et prévu, que le nombre d’étudiants allait croître. Le nombre annuel de naissances en France était de 750 000 jusqu’en 1999, puis 770 000 et 790 000 après 2005. L’État poussant tous les jeunes vers les études supérieures, le nombre de places devait être augmenté. Depuis près de dix ans, ce sont 20 000 étudiants de plus que les universités doivent accueillir chaque année. C’est la taille d’une université. Il aurait donc fallu par exemple créer au moins une université par an au cours des dix dernières années. Cela n’a pas été fait, rien n’a été prévu pour cet afflux d’étudiants : les murs n’ont pas été construits, les enseignants n’ont pas été recrutés…

Il faut rajouter à cela le problème qui se pose aux jeunes obtenant un bac technologique et, surtout, bac pro. Depuis longtemps, ces bacheliers demandent à entrer dans des filières sélectives (STS et IUT) qui les refusent massivement, préférant prendre les meilleurs étudiants des filières générales. C’était déjà vrai au début des années 80 quand j’ai commencé à enseigner mais il y a maintenant plus de 170 000 jeunes qui obtiennent un bac pro chaque année.

Faute de place dans les filières qu’ils demandent, ces lycéens se retrouvent très souvent à l’Université. Mais ces étudiants sont les moins bien préparés aux filières universitaires : leurs capacités de mémorisation, d’abstraction, de concentration n’ont pas été entraînées au cours des trois années précédentes alors que, justement, ils étaient déjà faibles en classe de troisième.

Accueillir des jeunes en difficulté serait un défi passionnant si le Ministère n’annonçait pas que les universités doivent être jugées, et recevoir leurs crédits, sur la base de leurs taux de réussite. À ce titre, les filières les plus sélectives à l’entrée seront les mieux notées et payées.

Comment se passait la répartition, jusqu’en 2017 ? En licence, le logiciel APB choisissait. Je n’ai jamais compris sa logique : en 2015 nous avions 70 places, et 76 lycéens de l’académie nous avaient classés en premier sur leur liste de voeux. J’aurais cru qu’ils allaient tous arriver chez nous. Non, seuls 15 d’entre eux étaient là, mais il y avait des gens dont nous étions le 4e, 5e ou même dixième choix. Où étaient passés les autres ? Certains venaient nous demander pourquoi ils n’avaient pas été pris et nous… les inscrivions en douce.

On nous parle souvent de problème d’orientation, les jeunes seraient « mal orientés », mais si vous n’obtenez pas ce que vous vouliez, faites-vous un bon choix en allant ailleurs ? Si vous êtes bon en sport, n’est-il pas logique de vouloir faire STAPS et pas Histoire ? Oui, mais la saturation touche certaines filières plus que d’autres… Dans quelques rares cas, en 2017, il a été procédé à un tirage au sort pour déterminer qui serait accepté. Partout ailleurs il n’y avait pas de gros problèmes : par exemple, aucune licence de mathématique n’étant saturée, tous les candidats trouvaient une place…

Sous prétexte de ces quelques tirages au sort, le Ministère a décidé de créer en urgence un nouveau système, c’est Parcousup. Le principe est que le candidat fait un dossier et les universitaires choisissent qui va pouvoir « bénéficier d’une inscription ». Avec deux situations bien distinctes, les cas où l’étude des dossiers ne sert à rien car le nombre de places ouvertes est supérieur au nombre de candidatures effectives et celui où il faut faire une vraie sélection, comme c’est mon cas.

  1. Constatations
  1. Ce système génère beaucoup de stress pour les lycéens. Comment, au moment même où ils doivent se préparer pour le bac, ils doivent aussi s’inquiéter de Parcoursup. Regarder tous les jours le serveur pour savoir s’ils ont enfin un résultat, auquel ils doivent répondre en urgence.
  2. Beaucoup de jeunes se retrouvent sans aucun choix. Les déclarations du Ministère cachent ce chiffre, mais sur les 800 dossiers que j’ai étudiés cette année, 100 venaient d’étudiants n’ayant pas eu d’inscription en 2018. Beaucoup d’entre eux avaient obtenu un bac pro. Les chiffres de 2018 sont biaisés : le Ministère parle de « candidats ayant quitté la procédure » et ils sont 181757 auxquels s’ajoutent 39 mille « inactifs ». Plus de deux cent mille jeunes abandonnés !
  3. Aujourd’hui, nouvel élément de langage, le Ministère se congratule des nombreuses « reprises d’études » pour désigner les candidats qui n’ont rien eu l’an passé et qui essaient à nouveau. Ils ne sont pas inclus dans les statistiques.
  4. Le dossier des uns n’est pas équivalent au dossier des autres. D’une part certains se font aider, mais par qui ? D’autres copient leur lettre de motivation. Elles sont alors souvent générales, vagues et creuses. Quelques uns, au contraire, se sont renseignés sur la formation qu’ils demandent et leurs phrases sont plus précises. Celui qui lit les dossiers y trouve des raisons de préférer tel dossier à tel autre.
  5. Il existe des endroits où des formations sont en concurrence. Concurrence entre fac de mathématiques et prépas, concurrence entre deux formations proches, etc. C’est le cas systématiquement en région parisienne. Là, les candidats vont choisir de préférence l’établissement qui paraît le plus « prestigieux ». Sauf que cette apparence est trompeuse : ce n’est pas parce que l’université X est mieux « cotée » que l’université Y qu’il n’y a pas des formations bien meilleures dans Y que dans X. De plus certains étudiants se disent que si un établissement A les a mieux classés qu’un autre établissement B, c’est que B est plus sélectif et donc « meilleur ». Ça peut être simplement que quelque chose dans le dossier a été lu dans A et pas dans B.
  6. Nous avons plus de huit cent mille candidats, qui font en moyenne 8 demandes, qui sont donc étudiées. Si les enseignants ne s’en remettent pas à un programme pour faire le travail à leur place (et le programme ne pourra pas étudier la motivation), il faut de l’ordre de dix minutes par dossier. Ce sont donc 64 millions de minutes de travail qui viennent d’être créées. Plus d’un million d’heures ! Sans compensation, sans les postes qui pourraient les compenser. Et je ne parle même pas du travail des candidats que je me sens incapable de mesurer.
  7. Pour les universités qui ont le choix et qui sélectionnent, le résultat est assez flatteur : nous recrutons de meilleurs candidats, qui savent pourquoi ils viennent et ils réussissent mieux. Mais c’est au prix du sacrifice de tous les autres.
  1. Ne pas rester seul

La crise était prévue. L’État en est entièrement responsable. Au lieu de l’assumer, il nie en bloc. Au lieu d’essayer de réparer, il culpabilise les jeunes. Oui, chacun, seul face à Parcoursup, se demande ce qu’il aurait pu faire pour améliorer son dossier. Comme si c’était à lui de porter la faute. Comme s’il y avait assez de place pour tout le monde. Comme si les discours « Tout bachelier peut entrer en fac. » « Les jeunes doivent faire des études supérieures. » « Cinquante pour cent d’une classe d’âge doit obtenir un diplôme bac+3. » étaient autre chose que des fausses promesses et que le jeune sans proposition avait un mauvais dossier.

C’est le gouvernement qui a un mauvais dossier, ce n’est pas la jeunesse. La jeunesse de ce pays est envoyée dans un piège, puis elle y est abandonnée.

Les jeunes devraient prendre le temps de parler, de raconter ce qui leur arrive, de dire le mauvais coup qu’ils reçoivent. Ce ne sont pas les bacheliers de telle ou telle filière qui sont victimes de Parcousup, c’est la jeunesse de ce pays, harcelée de mensonges, de fausses promesses et de culpabilisation.

Il ne faut plus parler de Parcoursup mais de Piègessup.

Robin

Septembre 2019

Texte en PDF : Parcoursup