Nous sommes tous assignés à résidence. Ce n’est pas une image, c’est un fait. Et encore, l’assignation à résidence ne peut pas dépasser 12 heures par jour. La question que je veux poser c’est : “Pourquoi ?”
D’abord quelques faits.
L’épidémie actuelle, Covid-19 est apparue en Chine en décembre 2019. Elle a commencé à être connue et étudiée, surveillée de l’étranger, dès janvier 2020. Elle est peut-être arrivée en Europe dès le début janvier. Cette maladie nouvelle possède des caractéristiques graves : le taux de mortalité est important (sans doute vingt fois plus que la grippe), près de 20% des malades nécessitent une hospitalisation, elle se transmet plus rapidement que la grippe, met du temps à se développer, jusqu’à quinze jours, peut être contagieuse une partie de ce temps et, surtout, le nombre de cas asymptomatiques (personnes qui portent le virus, peuvent le transmettre mais n’ont aucun symptôme) est alarmant. Ce dernier point est largement connu et publié dès la fin janvier quand des tests sérieux sont faits et que, sur huit porteurs de la maladie, quatre n’ont aucun symptôme.
Dès la fin janvier chacun peut savoir que la maladie se propage et que ses porteurs sont souvent invisibles. Je ne suis pas le seul abasourdi que, alors que des Français rapatriés de Wuhan sont mis en quarantaine à Carry le Rouet, les aéroports continuent à déverser des milliers de passagers sans le moindre contrôle, sans test, sans précaution, sans prévention. Même les télévisions nationales s’en étonnent !
Le gouvernement français a autre chose en tête à ce moment-là, la réforme des retraites. Il ne s’occupe donc pas, ni de savoir s’il y a du matériel dans les hôpitaux, ni de savoir comment détecter les cas, ni même d’acheter le matériel nécessaire. Début février il aurait été possible d’acheter des PCR (qui servent à détecter les virus). Ça coûte cher, certes, de l’ordre de 10 000€. Mais en avoir quelques milliers aurait permis de tester les gens. Il était possible d’acheter, faire fabriquer, les masques, blouses, lunettes, gants, médicaments…, qui manquent tellement aujourd’hui. Non, ce temps-là était tout entier concentré sur une seule bataille : la réforme des retraites.
Pendant des semaines, ensuite, nous avons vu la maladie se répandre dans le monde entier, et nous savions bien qu’elle se répandait ici aussi. Pourtant les propos du gouvernement restaient lénifiants et nous pouvions dormir tranquille. Nous avons même entendu des ministres se moquer de la politique de l’Italie quand elle a confiné une partie de sa population.
Le 29 février un conseil des ministres extraordinaire est enfin convoqué sur l’épidémie. Le seul point qui en ressort est le passage en force du gouvernement sur les retraites, le fameux 49-3. Donc l’épidémie n’est pas très importante. La semaine du 9 mars je suis à Paris et, alors qu’on a commencé à nous demander de respecter des distances, le métro est à la fois ouvert et bondé. Non, il n’est pas possible de rester à un mètre des autres dans un métro bondé !
Pourtant les jours suivants, les déclarations se succèdent, les écoles vont fermer, les universités aussi, enfin le lundi 16 mars les activités non-essentielles doivent s’arrêter. Mais les élections du 15 mars auront lieu malgré tout. Donc il faut respecter une bonne distance, il faut ne pas transmettre le virus mais ce qui concerne l’État et les partis doit pouvoir continuer.
Le lundi 16 mars, constatant que les gens n’ont pas compris ces messages contradictoires (tout va bien mais tout va mal) et sont sortis malgré les consignes, le gouvernement décide d’imposer l’assignation à résidence (ils disent confinement) pour tous. Enfin, pas pour tous, il faut que les affaires continuent quand même. Dans le même temps le gouvernement annonce des dépenses impressionnantes pour “maintenir l’économie”, comme trois cent milliards d’euros de garantie bancaire pour les entreprises, comme quatre milliards d’euros pour soutenir les start-ups, et, “ce qu’il faudra” pour les personnels hospitaliers (c’est beaucoup moins précis, sans doute moins d’un milliard). Sans oublier des ordonnances, comme s’il en pleuvait, avec des choses “étonnantes” telle cette suppression temporaire des délais des questions prioritaires de constitutionnalité, qui permet que la constitutionnalité de certaines règles/décrets/lois n’aura pas à être traitée immédiatement et que la règle pourra donc être appliquée sans savoir si elle est constitutionnelle.
La situation d’assignation à résidence.
Dès la mi-mars la police a été largement déployée sur le territoire pour contrôler que chacun restait chez lui. Quand nous devions respecter une “distance sociale” d’un mètre, nous voyions des policiers sans masque, côte à côte, tout près des passants. Les images d’arrestations brutales, par des policiers au contact des gens ne peuvent manquer d’effrayer. Comment, nous devons rester à un mètre de quiconque mais les policiers peuvent toucher, agripper, brutaliser une personne ? Ils peuvent verbaliser jusqu’à faire payer une fortune (un mois de salaire) à des gens qui sont peut-être au chômage… La police a obtenu ce qu’elle demandait depuis des mois : les pleins pouvoirs sur les habitants. À une personne munie d’une autorisation, marchant seule à moins de 500 mètres de chez elle, un policier n’a-t-il pas dit “Je peux vous mettre une amende si je veux.” Ce n’est pas spécifique à la France, d’Inde, d’Égypte, du Chili, de beaucoup de pays arrivent des scènes horribles où policiers et militaires frappent, tabassent, punissent de simples passants, utilisant les pleins pouvoirs que leur a donné l’assignation à résidence.
Quels possibles ?
D’abord du côté de l’État il était possible de faire tout autre chose. Il nous a été dit qu’on faisait comme en Chine, mais non, l’État Français n’a pas fait comme en Chine. Dans ce pays, les tests sont intervenus très rapidement, les gens ont été massivement testés et le confinement n’a concerné que les foyers atteints. D’autres pays ont enrayé cette épidémie. La Corée, Singapour, Taiwan, le Japon ont utilisé des méthodes très différentes. Plutôt que confiner tous les habitants, ils ont fait des tests massifs et ont confiné les gens atteints. Pas les autres. Pour éviter la propagation, en Asie, tout le monde porte un masque. On nous a répété à l’envi que ce n’était pas conseillé, avant de concéder qu’en réalité, on n’en avait pas. Le masque ne protège pas parfaitement, mais c’est mieux que rien non ? Le conseil était mensonger et criminel. Les tests, on n’a pas prévu de les faire et donc on ne les a pas faits. Avant d’appliquer le confinement, il aurait été possible de fermer les métros et entreprises non vitales. Mais non, ce fut tout ou rien, ou plutôt, copier une des mesures venues de Chine, trop tard, une fois que la maladie était installée.
Depuis lors les discours de l’État, des médias repris par beaucoup, cherchent à nous culpabiliser. La politique actuelle sert à nous punir. Nous culpabiliser, nous punir, mais de quoi ? D’être sortis voter pour certains ? Mais à la demande de qui ? De ne pas avoir pris au sérieux les alarmes, mais qui nous disait que la maladie n’arriverait pas en France ? D’être sortis courir, faire du vélo ou pêcher le long de la rivière ? Mais qui peut croire que le pêcheur seul avec sa canne propage la maladie ? À qui ? Aux poissons ? En quoi le nageur seul dans l’eau, à plus d’un mètre de ses congénères, est-il plus dangereux que l’électeur ? Le président n’a-t-il pas dit que ceux qui ne respectent pas l’assignation à résidence “fracturent la France”, alors que la séparation entre l’État et les gens est déjà bien consommée.
Dans toute cette affaire la question est de savoir où chacun se situe. L’État, de son côté, a abandonné les gens et les conduit massivement à la mort. Il ne compte que les morts en hôpital, ni ceux des EHPAD, ni ceux, nombreux qui ont lieu à la maison ou dans la rue. Il dépense sans compter pour sauver l’économie, mais pas les gens, pas le pays. En se plaçant du côté des gens on voit une tout autre réalité. Ces mesures ne sont pas là pour nous protéger. Elles sont arrivées beaucoup trop tard pour cela. La protection est un prétexte, la réalité est que l’État veut se couper un peu plus des gens et profite pour cela d’une crise qu’il a largement laissé venir.
Du côté des gens, s’isoler des autres n’a pas le même sens si c’est fait sans principe ou si on sait qu’on est porteur ou pas de la maladie. Du côté des gens on voit que la solidarité existe et que chacun tente d’apporter de l’aide aux autres. Du côté des gens on voit des enseignants qui tentent malgré des logiciels mal conçus et sous-dimensionnés, de rester en contact avec leurs élèves ou leurs étudiants. Du côté des gens on voit des salariés venir chaque jour travailler, par exemple dans des magasins, la peur au ventre d’être atteints. Du côté des gens on voit les soignants, ceux qui nous interpellaient il y a quelques semaines encore sur la situation de l’hôpital, ceux qui ont été frappés, gazés, considérés comme des ennemis, les soignants sont là, fidèles au poste malgré tout et nous ne pouvons que les remercier. Nous, nous savons que nous avons besoin des services publics essentiels, de la santé, de l’éducation, de justice. Du côté des gens nous avons besoin d’égalité, c’est bien rare, de fraternité, malgré tout, et aussi de liberté. Voilà pourquoi je ne supporte pas d’être assigné à résidence !
Robin, le 29 mars 2020
Texte en PDF : assignés