La séquence actuelle est marquée par une grande confusion entretenue par le pouvoir (Etat, gouvernement, partis). Sur la pandémie, le gouvernement affirme un jour une chose et son contraire le lendemain (sur les masques, les vaccinations, la nécessité du couvre feu…). Que ce soit volontaire ou dû à une incapacité chronique des responsables politiques, le résultat est une confusion permanente, et la quasi impossibilité d’une pensée digne de ce nom qui nous permette d’affronter collectivement ce que nous vivons actuellement.
Du côté des gens, il y a une difficulté à s’orienter alors que tout le terrain de la politique est occupé par l’Etat et lui seul (offensives permanentes pour dire à tous ce qu’il faut penser, ce qui est juste ou non, ce qui est « républicain » ou non, « laïc » ou non…accompagnées d’une répression violente dès qu’une tentative de prise de parole publique est tentée).
La difficulté à s’orienter est d’autant plus grande qu’une partie importante de la population n’attend plus de réponse du côté de ce qu’on nomme « la politique », réduite uniquement à un jeu pour la prise du pouvoir, loin des gens.
Dans cette situation, pour tenter d’y voir clair, de s’orienter un tant soit peu, nous ouvrons un travail sur ce que nous appelons « prendre des décisions honnêtes ».
I- Prendre des décisions honnêtes.
De quoi s’agit-il ?
La décision honnête existe quand tout un chacun assume sa responsabilité dans la situation : on ne se pense plus comme observateur, commentateur, plaignant, mais chacun décide, en son nom, et avec d’autres si c’est possible, du chemin à tracer pour transformer la situation.
Ce n’est pas une démarche « moraliste » dans le sens du bien et du mal, mais une décision conforme à des principes, des valeurs qui posent la question de la dignité, du droit des gens, du compte de chacun : 1=1, et de la paix et de l’entente entre les gens.
La décision honnête, telle que nous l’entendons, part toujours du souci de ce qui arrive aux gens, et donc d’un souci du pays, de son avenir et de son présent.
Prendre une décision honnête est à la portée de chacun, car la question de la décision honnête est posée à tout le monde, au quotidien, dans les situations les plus diverses :
- C’est par exemple la décision du boulanger de Besançon de faire la grève de la faim pour la régularisation de son apprenti et pour faire reconnaître leur existence et leur travail, celui du jeune apprenti comme le sien en tant que maître d’apprentissage : il a pris une décision honnête, en accord avec ce qu’il vit, sa conscience et ses principes. Après la régularisation du jeune apprenti, il a dit : « j’ai gagné pour lui, maintenant, il faut gagner pour tous les jeunes apprentis qui sont dans la même situation », et en a fait un principe général. Cela est repris par d’autres artisans, qui ont aussi formé des jeunes que l’Etat veut expulser ensuite. Une décision honnête, individuelle, partagée ensuite par d’autres, qui a mis à nu la décision de l’Etat, et l’a fait apparaître pour ce qu’elle est : malhonnête, indifférente à la vie réelle des gens et sans principe.
- La décision honnête, c’est bien sûr la décision des lanceurs d’alerte, mais c’est aussi la décision de fonctionnaires de fermer les yeux à certains moments, de refuser d’exécuter certaines directives, de se mobiliser, de prendre le parti des gens… On peut citer des enseignants qui se battent au quotidien pour une éducation de qualité contre le mépris des familles et des élèves, comme ceux qui ont participé avec les parents du quartier Reynerie à Toulouse à la bataille pour le maintien du collège R. Badiou. Ou encore des soignants qui résistent à leur hiérarchie pour continuer à pouvoir traiter leurs patients en êtres humains, et non en objets ou en « cas », etc…
II- Une grille de lecture, un point de repère.
Sur les questions de la santé, du logement, des droits au travail, de la protection de la jeunesse, de la paix et de l’entente entre des gens différents… prendre comme grille de lecture la décision honnête peut permettre à chacun de se retrouver et se reconnaître comme ayant la même recherche, la même volonté. Cela permet de s’orienter et d’avancer. On peut en discuter à plusieurs, la proposer à tous et lui donner un efficace. Cela nous permet de réfléchir aux batailles nécessaires, aux alliances possibles entre des gens qui d’habitude ne se rencontrent pas, et de trouver un terrain d’entente non pas autour de ce que nous refusons mais autour de ce que nous voulons.
On n’est pas dans la réflexion technique, dans la gestion du budget ou autre, ça c’est l’affaire de ceux qui sont payés pour ça. Non, on est dans « qu’est-ce qui prend en compte la vie des gens, de tous les gens ? »
Le rapport à l’Etat, aux institutions, aux représentants peut aussi évoluer : ce que dit et fait chacun peut être évalué, jugé, compris non pas à partir des discours en boucle et des « promesses » mais pour ce que vaut telle ou telle proposition : est-elle honnête, au regard de la définition que nous en donnions (prise en compte du pays, des gens, de la vie de chacun) ou est-elle une énième tentative pour séparer les gens, les monter les uns contre les autres, les appauvrir et faire de mauvaises lois ?
Si l’on examine par exemple la loi « séparatisme » au regard de la décision honnête, on voit vite qu’il n’y a là rien d’honnête ni dans l’intention, ni dans la réalisation :
Il s’agit de désigner un ennemi (les musulmans) et de mettre en place des mesures persécutoires contre eux, de les séparer du reste de la population. La loi contre le séparatisme est donc en fait une loi séparatiste, qui vise non seulement à isoler les musulmans, mais au delà, à rejeter toute personne porteuse d’une pensée non conforme à la doctrine étatique, toute pensée indépendante, porteuse d’un espace propre aux gens, distinct de celui de l’état. La récente attaque étatique contre les soi-disant « islamo-gauchistes », qui vise en réalité l’indépendance de la recherche universitaire, est significative de cette volonté.
On peut donc sans hésitation qualifier cette loi de décision malhonnête, dont l’objectif est de détruire toute pensée et réalité de la France comme pays pour tous ceux qui y vivent.
III- Mettre des limites à l’Etat, le contraindre pour la prise de décisions honnêtes.
Nous disons depuis plusieurs années que l’Etat s’est transformé, sa pensée s’est modifiée : il est passé d’un Etat qui se devait d’afficher un souci de tous à un Etat qui s’affiche clairement loin des gens, et n’a aucun souci de leur vie.
Cela a commencé avec Jospin répondant aux ouvriers de Vilvorde qui l’interpellaient sur la fermeture de leur usine : « l’Etat ne peut pas tout » ce qui signifiait : « nous ne ferons rien pour vous » et s’est structuré avec les gouvernements Sarkozy et Hollande.
Avec Macron, le mépris déjà présent est ouvertement assumé. Nous avons l’accomplissement de l’Etat qui se pense et se veut sans peuple, séparé des gens, qui n’a rien à discuter et a négocier avec ceux qui le demandent. Nous voyons aussi que cette conception bute sur le réel : les gens existent, sont là, éventuellement le manifestent. Il ne suffit pas de décider que les gens ne comptent pas pour que cela soit ainsi : il y a aussi la décision des gens eux-mêmes !
Se réunir, se rencontrer pour débattre et délibérer autour de ce que peuvent être des décisions honnêtes à mettre en place constitue une réponse face à cet Etat sans peuple : les gens existent, ils continuent de faire le pays par leur travail (comme le confinement l’a mis en évidence), leur famille, leur présence ici, leurs idées et pensées. Cela est incontestable !
En situation, nous travaillons à la nécessité de prendre des décisions honnêtes et appelons à la mettre en œuvre.
Cela permet de se constituer soi-même, de mettre en place une véritable capacité des gens à décider, et c’est une tentative d’interpeller et de contraindre les autorités à prendre en compte la vie des gens. Par exemple sur les questions de logement, alors qu’il y a de vastes plans pour déplacer des populations de la ville vers l’extérieur, il est important de rappeler qu’une décision honnête, en pleine pandémie et crise qui en découle, serait de mettre un point d’arrêt à ces plans et de reprendre les discussions une fois la crise passée.
Avec la décision honnête comme grille de lecture c’est notre propre capacité à décider et penser qui est à l’oeuvre ou qui à minima est interpellée. Nous pouvons y travailler dans toutes les situations où la vie, la prise en compte des gens, est en jeu.
IV- Espace(s) des gens, espace de l’Etat : décisions honnêtes et situation mondiale.
Les mouvements mondiaux actuels et qui pour certains perdurent depuis plusieurs années, (Algérie, Chili, Tunisie, ou nouveau comme l’Inde…) montrent que partout, des gens cherchent à se créer des espaces à eux, indépendants des espaces imposés par les gouvernements. Ils affirment la volonté d’une pensée nouvelle, élaborée en commun par les gens eux-mêmes, en dehors du cadre fixé par les états et leurs relais médiatiques.
Il y a bien sûr des différences d’un pays à l’autre, d’un mouvement à l’autre, mais tous ces mouvements ont en commun le refus de la corruption, le refus des mensonges des gouvernements, le refus de la volonté de manipulation et du mépris général actuel des puissants envers les gens « ordinaires ».
Les Gilets Jaunes en France portaient aussi cela : les gens sont sortis pour la dignité, pour la reconnaissance de l’existence de chacun, pour que tout le monde soit compté et pour dire que les gens eux-mêmes peuvent se réunir, discuter et décider ce qui est bon ou non pour eux. Face à la volonté du gouvernement de reprendre la main avec le « grand débat », ils ont imposé leur espace de pensée et d’action, par exemple en refusant absolument de discuter de certains sujets que Macron voulait mettre au centre du débat, en particulier les thèmes de « l’immigration » et du « séparatisme », déconnectés de leurs préoccupations, et dont tous voyaient bien l’objectif : diviser, rallier une partie des gens contre une autre, présentée comme un ennemi intérieur, accusés d’être les responsables de la situation, eux, les « étrangers » et non le gouvernement.
Un autre point essentiel qui permet de caractériser les mouvements actuels comme créateurs d’un espace propre aux gens eux-mêmes, c’est qu’ils ne se situent pas dans une logique de pendre le pouvoir, mais plutôt dans une logique de prescrire sur l’état, de lui donner un cadre, des limites, de l’obliger à compter chacun, à tenir compte du pays réel.
Espace des gens, espace du gouvernement et de l’Etat, sont bien des espaces différents. D’ailleurs, quand existe une tentative de faire apparaître l’espace des gens, cela entraîne une grande frayeur des gouvernants, prêts à tout pour faire à nouveau rentrer les choses dans l’espace prévu et pensé par et pour eux.
On peut dire qu’il existe un espace propre aux gens quand des gens défendent collectivement et publiquement des points qui parlent pour tous, indépendamment des injonctions étatiques.
Travailler pour prendre des décisions honnêtes et trouver le chemin pour les imposer à l’Etat nous semble un travail intéressant à mener au regard du nouveau questionnement qu’ouvrent ces mouvements dans le monde, vus du côté des gens et du possible d’un espace des gens.
Brigitte, Cherif et Jean-Louis
Texte en PDF : décisions honnêtes