La confusion généralisée que nous vivons vient en grande partie du « en même temps » macronien qui permet de dire une chose et aussitôt son inverse. Il y a confusion car il y a mensonges d’Etat permanents, revirements de positions, infos anxiogènes et mise en tension volontaire de la société et des institutions. Toute la séquence de la pandémie et de son traitement a été marquée par cela. Mais c’est vrai aussi à propos de multiples situations : la ruine des écoles à Marseille et le mauvais traitement des enfants qui en découle, les comportements violents de la police, la loi contre les chômeurs, l’accueil des réfugiés Afghans etc…
Dans ce « en même temps » de la confusion, ce qui a le dernier mot c’est de manière constante la mise en place d’un rapport sécuritaire, de méfiance et de mépris vis à vis des habitants, des jeunes en général et des habitants des quartiers populaires, et cela a débordé largement contre les Gilets Jaunes et d’autres. Rapport sécuritaire qui permet toutes les pires lois, décrets, mesures s’entassant pour rendre la vie de plus en plus difficile et contraignante ; cet entassement de lois, décrets, mesures perpétue la domination de l’Etat pour s’assurer une domination et une « obéissance » de la population, dans ces temps où la légitimité électorale ne suffit plus (forts taux d’abstention, remise en cause de la représentation parlementaire…).
Cette confusion n’est pas la conséquence d’un esprit brouillon ou décérébré, au contraire il s’agit d’une démarche volontaire, minutieusement construite, dont le but est de nous faire comprendre qu’il n’y aurait pas besoin de principes, de valeurs. Comme le dit si bien Guerini, le chef LREM, bras droit de Macron : « on ne gouverne pas avec des principes » (26/08/2021à la radio). Affirmation à la fois inquiétante quant à leur abence totale de morale, mais aussi et surtout révélatrice de leur espoir, leurs injonctions et surtout leurs inquiétudes à notre égard. Autrement dit : « N’ayez aucun souci des autres, n’imaginez pas la moindre tentative collective porteuse d’énoncés qui prennent en compte tout le monde ».
Dans la même veine, on a pu voir des ministres, des députés, sénateurs, chefs de partis de tout bord défiler avec les courants les plus fascistes de la police et prendre pour cible le ministère de la Justice : « la justice doit obéir à la police », voilà leur mot d’ordre ! Ni Macron, ni Dupont-Moretti ne se sont bien sûr élevés contre cette manifestation pourtant fondamentalement antirépublicaine et à la limite putchiste.
Confusion volontaire donc pour gouverner dans un climat de crises perpétuelles : crise des institutions, crise du rapport de l’Etat aux gens etc… Cela permet une transformation constante de l’Etat vers toujours plus de séparation d’avec les gens, pour bien montrer qu’il n’est pas question de prendre en compte la vie des habitants du pays : au contraire, il s’agit de s’en méfier, d’en désigner des fractions toujours plus importantes comme ennemies de la « république », de la « nation ». « Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi, si tu n’es pas mon ami, tu es mon ennemi » : voilà la devise des gouvernements depuis Sarkozy. Penser, agir autrement qu’avec les mots et les directives du pouvoir, c’est se mettre du mauvais côté, se désigner comme « ennemi » potentiel ou avéré.
Les dirigeants politiques n’ont plus qu’une seule pensée, une seule action : créer l’antagonisme entre eux et des parties très larges de la population.
On est sommé d’être pour ou contre Macron, pour ou contre la police, pour ou contre le terrorisme, pour ou contre les jeunes, pour ou contre les musulmans, pour ou contre les habitants des quartiers populaires, les chômeurs etc… et cela dans les termes posés par le gouvernement. La confusion entretenue vise à ce que tout soit pensé de manière antagonique, à pousser chacun à choisir le camp défini par le gouvernement et ses propagandistes divers, ou à se mettre « hors-république », « hors communauté nationale », etc… Il n’y a plus place pour des principes, des valeurs, des débats faits d’échanges : c’est l’inverse de ce que beaucoup cherchaient à avancer lors du mouvement des Gilets Jaunes. Dans le mouvement anti-vaccin actuel c’est cette confusion et cette logique antagonique qui l’ont emporté en grande partie, (malgré des tentatives plus intéressantes contre ce que signifie le passe sanitaire) : on y parle de « liberté » sans tenir aucun compte des autres et des courants d’extrême-droite peuvent être internes au mouvement, parce qu’on n’y parle pas pour tous…
Dans la séquence actuelle, il faut au contraire parler, dire ce que sont nos vies, ce que nous voulons pour soi et pour tous. Dire les injustices et réfléchir à ce qui peut être, à ce que l’on peut faire pour transformer les choses. Il ne s’agit pas tant dans un premier temps de s’adresser à l’Etat, aux décideurs, que de se parler entre nous et à tout le monde, pour en sortir des points qui parlent à tous, de tous et pour tous.
Notre conviction reste la suivante : Si l’on veut vraiment que la vie des gens, leur dignité et leurs droits soient mis en avant et pris en compte, une puissance possible des gens, pour ici et maintenant, reste le seul champ de travail qui le permette, en situations. Seule, la mise en oeuvre de cette capacité à faire puissance, peut poser des limites à l’Etat, aux institutions et aux pouvoirs publics et les obliger à nous compter et nous respecter.
Deux points essentiels nous permettent d’avancer cela :
1) d’une part notre expérience militante depuis plusieurs années, riche de liaisons à des centaines de gens différents et engagés dans des situations précises. Y sont en jeu des points qui traversent la vie de nombreux habitants de ce pays, et qui bien souvent donnent ou ont donné lieu à des batailles collectives de longue haleine : les droits et la reconnaissance des ouvriers sans papiers et de leurs familles, l’école et la jeunesse, le logement, la santé, la possibilité de vivre en paix malgré les multiples attaques des gouvernements pour monter les gens les uns contre les autres…
2) d’autre part, dans les mouvements récents, les Gilets Jaunes ont mis en évidence que les gens existent, et que leur vie compte : des affirmations très importantes y mettaient au premier plan l’importance de se soucier de tous (ce qui s’est donné au travers du thème de la fraternité) accompagnées de tentatives de parler du pays et de ce qu’il pourrait être : c’est ce qui en a fait un mouvement réellement national.
Il y a capacité à faire puissance quand des points clairs, qui prennent en compte tout le monde sont élaborés suite à des réunions, des assemblées où chacun(e) y vient en se sachant à égalité avec les autres : on cherche ensemble, on trouve ensemble : c’est un travail de pensée en partage, en commun. Quand il en sort des énoncé qui parlent pour tous et qui disent ce que doit être la situation, et qu’à plusieurs la décision est prise de mener bataille pour le gagner, on peut dire qu’une capacité, qui n’existait pas auparavant, se révèle et que des possibles s’ouvrent.
La mise en oeuvre de ce possible se confronte à l’Etat, aux « décideurs » locaux : s’engage alors un long travail pour faire respecter la dignité et les droits des gens. Cela passe par mettre des points d’arrêt aux décisions sans fin qui vont contre la vie des gens. Il y a alors puissance réelle des gens eux-mêmes qui permet de contraindre l’état, les institutions, et qui dure le temps de sa mise en place : cela n’existe pas par la permanence d’une organisation mais par la volonté, la décision de ceux qui veulent lui donner corps.
Avec ce travail, on est loin de la recherche d’une « bonne gouvernance » ou de l’appel à la révolution par la convergence des luttes. On est dans la recherche de possibles : ce qui se fait ou non dépend de la subjectivité, de la pensée de chacun(e), de la décision prise et tenue pour la transformation réelle de situations, dans la durée.
Dans la sinistre séquence électorale qui s’ouvre nous appelons chacun(e) à s’interroger là-dessus, et à décider.
Jean-Louis, sept.2021
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