Si on réfléchit à ce qu’il y a à faire, alors on sort de l’impuissance

Nous vivons un moment très dur. Comment arriver à garder de la distance, ce n’est pas évident car il y a une surenchère à qui dira le pire. 

Il y a une volonté que la France se rétrécisse. La haine des étrangers devient le moteur pour gagner les élections. Ces idées là s’installent peu à peu dans l’esprit des gens. Je crains que la situation dégénère, qu’on en arrive à installer cette division entre les gens, cette haine, de façon durable.

Ça me fait peur mais en même temps je me dis que je dois garder la tête hors de l’eau. Car sinon je chercherais à quitter la France, je me verrais perdre mes papiers. 

La France, c’est les gens du pays qui la construisent, ceux qui font les logements, les routes, les hôpitaux, les écoles, ceux qui les font tourner, ceux qui travaillent dans les commerces, les services, etc… Là où je travaille, des gens viennent de partout, du Maghreb, de Cuba, du Costa Rica, et aussi du Gers, de l’Ariège, du Nord…. On est tous là pour accompagner les personnes âgées, et on fait la France. Bien sûr, il y a des différences culturelles, on est tous différents, tous les français ne se ressemblent pas selon qu’ils sont du sud ou du nord, d’Alsace ou de Marseille. C’est ça aussi qui fait la richesse du pays. 

Ce n’est pas parce qu’on est musulman qu’on ne s’adapte pas à la société française. On n’est pas tous des terroristes, les attentats, c’est des individus isolés, qu’il faut juger pour leurs crimes. Il y a des prêtres pédophiles, mais personne n’accuse tous les catholiques d’être pédophiles !

Les terroristes sont des criminels, ils doivent être jugés pour leurs crimes, il ne faut pas le ramener aux origines, d’ailleurs il y a beaucoup de convertis dans ces assassins. Au Danemark, un danois a commis un attentat terroriste, il a été jugé pour ses crimes, pas en tant que danois. 

Dire « la France aux français », c’est une aberration, la France s’est toujours construite par des gens d’origine diverse.

Je ne veux pas de la France qu’ils nous proposent, je ne veux pas vivre dans un pays où on se regarde de travers, où on se méfie les uns des autres. Je sais que la France n’est pas la haine, la séparation des gens : ça fait 20 ans que je vis là, je ne ressens pas de regard de méfiance comme ils nous le disent, mais ils veulent l’imposer à tout le monde, qu’on se regarde tous de travers. Ils jouent sur la peur pour faire monter la haine et la division. On vit autre chose que ce qu’on nous raconte, c’est la preuve qu’une autre France non seulement est possible, mais qu’elle existe déjà. 

C’est à nous d’être vigilants, de ne pas rentrer dans leur discours. Il faut faire attention aux mots de l’Etat :

  • Beaucoup de mots comme discrimination positive sont des aberrations, comme si une discrimination pouvait être positive !
  • Un autre mot qui me gène, c’est le mot intégration.Ce mot me gêne car je l’ai vécu et ce que j’ai vécu, ce n’est pas l’intégration, c’est l’exclusion.
  • Il y a aussi le mot République : ce que nous on y met derrière, et ce que l’Etat y met derrière, ce n’est pas la même chose. Pour moi la République c’est la France de tous ceux qui y vivent, quels que soient leur origine ou leur statut, et c’est l’égalité, pas la division en permanence. Pour l’Etat, la République, c’est l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas conformes : les musulmans, les jeunes des quartiers, les gilets jaunes, tous ceux qui ne rentrent pas dans son moule. Donc on se retrouve à employer un mot avec un sens pour nous qui n’est pas le même que pour l’Etat. Ça crée de la confusion.

Selon le principe que tu énonces, tu ouvres des possibles différents. La République, c’est l’égalité : on est différents, socialement etc, mais on est égaux. Si on crée l’inégalité, on crée la division, l’ennemi. 

Si on part du principe : une personne égale une personne, le regard change, la perception de la société change. S’il n’y a pas d’égalité, alors c’est une autre grille d’évaluation qui se met en place. 

S’il y a égalité, on ne regarde pas quelle place on a ou les gens ont dans la hiérarchie, on regarde le pays à construire ensemble.

Aujourd’hui, le possible que l’Etat nous propose, c’est la guerre contre des gens du pays. 

L ‘essentiel ne se joue pas dans le vote. Voter, c’est donner sa voix à des gens qui ne connaissent pas notre réalité, qui y sont étrangers. Les vrais étrangers en France, ce sont les politiques : ils ne sont pas étrangers par la nationalité, mais ils ont étrangers à la réalité des habitants du pays. 

Le vote c’est une décision qui concerne chacun. Mais si on se contente de voter, est-ce que ça suffit ? On donne sa voix à des gens qui ensuite font ce qu’ils veulent, et le vote légitime leur action future, même si on n’est pas d’accord, même s’ils font le contraire de ce qu’ils ont annoncé.

On nous dit qu’il faut voter parce que c’est un droit. Mais aujourd’hui, quel que soit le candidat, on vote pour un pays où de plus en plus d’habitants ne sont pas comptés, pour une société de haine et de division. Dans l’espace des élections, il ne se passe rien de positif pour les gens.

Voter, personnellement, je ne peux pas le conseiller. Pour moi, on ne contribue pas à changer les choses en votant car on ne maîtrise rien dans le vote. Le vote concerne l’Etat, il t’amène sur son terrain et t’y emprisonne, c’est un piège. Pour moi, voter renvoie au vide et à l’extériorité.

Ce qui est en jeu ici et maintenant, c’est le rôle que chacun joue. Pour moi la question c’est « est-ce que tu acceptes la situation ? Si demain celui à qui tu as donné ta voix fait une loi contre les gens (et ils le font tous ), que feras-tu ? ». Ce n’est pas le vote ou pas la question, mais l’intériorité à la situation. Beaucoup de gens sont inquiets, mais ne se posent pas la question de l’intériorité : ils ne le réfléchissent pas par rapport à eux-mêmes.

Mettre un bulletin dans l’urne ne suffit pas. Il est possible et nécessaire de faire un travail à côté, car ça ne peut changer que si nous on s’y met. Il ne faut pas leur laisser le terrain, et pour ça, c’est à nous de le prendre. Même si vous votez, ça ne doit pas vous empêcher de travailler en tant qu’individu, à dire et faire que la France c’est le pays de tous ceux qui y vivent, à montrer qu’on s’entend, qu’il n’y a pas pas que la guerre et le conflit, mais qu’on se respecte entre gens différents et qu’on travaille ensemble pour tous. 

L’intériorité, c’est la clé. Si on est interne, on s’abstient parce qu’on ne maîtrise pas quelque chose qui nous échappe. Si on ne pose pas la question de l’intériorité, si on ne se demande pas quelle est ma part de responsabilité dans ce qui arrive ? qu’est-ce que moi je peux faire, avec d’autres ? on ne tient pas bien sur ses jambes, on est totalement démunis. La peur nous rend défaillants, on n’a plus rien pour se tenir. 

Si au contraire on dit « je compte », « ma parole compte », alors on réfléchit ce qu’il y a à faire : on sort de l’impuissance.

Zoubida,

Décembre 2021