Eléments de débats, d’enquête et propositions sur le mouvement en cours sur les retraites.

1) Dans les discussions à propos de la loi sur les retraites, ce qui revient souvent c’est la question du travail, et de façon importante, des conditions dans lesquelles on exerce son travail. Beaucoup parlent à la fois de souffrances physiques liées à leur métier et de souffrances psychologiques liées au « management », à la façon dont les gens sont traités, au rapport des chefs aux ouvriers et employés. Cela concerne tous les domaines : production, santé, enseignement, service, distribution, etc…
Ce qui revient aussi : on se sait usés, fatigués, on ne se voit pas travailler jusqu’à 64 ou 65 ans. Même 67 pour certains afin d’avoir les droits à une meilleure pension si on a eu une carrière hachée, si on est dans une situation précaire. Ce qui use, c’est que le temps passé au travail est un temps de pression, de tension dans nombre de secteurs, et si ce temps est rallongé ça ne fait que cumuler de la fatigue.
De se savoir usé au bout de toutes ces années renforce le sentiment d’injustice de cette loi, qui est vécue comme une loi contre les gens, contre leur vie.
Des points commencent à sortir sur comment doit se passer le temps pendant lequel on est au travail : nous ne sommes pas des pions interchangeables, nous avons des métiers, des savoirs-faire qui doivent être reconnus ; chacun d’entre nous doit être respecté dans son usine, son atelier, son bureau, son établissement… ; notre travail compte

Il y a aussi des points qui interrogent la relation au public que certains ont de par leur métier, comme les soignants par exemple ; des infirmiers réfléchissent à comment pouvoir faire leur métier, c’est à dire pouvoir s’occuper dignement des malades et ne pas les mettre, et se mettre soi-même par conséquence, en souffrance. Comme le disent des infirmiers : « On ne traite pas des maladies, des cas, on traite des patients, c’est-à-dire des personnes précises, différentes, et cela nécessite d’avoir le temps et l’environnement psychologique qui le permettent ».
Un certain nombre de ces points étaient déjà en gestation, en discussion pendant le Covid, quand tout le monde a vu qu’il y a des métiers indispensables, « les premières lignes » : soignants, éboueurs, caissières, ouvriers de la logistique etc… 

2) Ce qu’on peut déjà faire : on peut profiter de ces temps de grèves et de manifestations pour débattre et pour poser les questions de « comment ça se passe là où je travaille »« comment ça peut être autrement ? » « que disent mes collègues de travail et comment décider ensemble de ce qui est faisable ? », et aborder tout ce qui ouvre aux question des cadences, et de comment se faire respecter par les chefs, les « managers » qui utilisent le mépris, la pression, le chantage etc…
Engager ce travail, ces discussions, ne peut que renforcer le mouvement en cours, et peut permettre de passer d’un mouvement à une bataille, c’est à dire passer de la contestation importante d’une loi injuste à pouvoir tenir et réfléchir dans la durée ses propres affirmations, et cela quel que soit le vote du Parlement. 

3) On peut travailler à faire de ces affirmations une ligne de conduite, un ensemble de valeurs que l’ont juge importantes, et selon lesquelles on se comporte. Cela existe déjà dans certains lieux, à certains moments. Dans de nombreux endroits les gens s’organisent pour pouvoir exercer leur métier dans de meilleures conditions, pour eux et pour les autres (les clients, les usagers, les malades, les élèves…). C’est important aussi de connaître et de diffuser ces exemples.
Déjà, ce qui se dégage de ces éléments, c’est l’importance de discuter ensemble de ce qui se passe, de réfléchir de façon collective et solidaire, pour ne pas laisser prise à toutes les manoeuves de division et d’isolement des gens. Dire les choses aux autres avec qui on travaille, mettre en débat les conséquences d’un travail dégradé, c’est le premier pas.
Mettre ces points et leur pratique en débat publiquement et largement est d’autant plus d’actualité face à un gouvernement qui n’a comme politique que de travailler à la soumission et l’écrasement des gens. Un gouvernement pour qui ceux qui font le pays ne valent rien, et qu’à longueur de déclarations, le Président et ses ministres présentent comme des fainéants, des parasites, des profiteurs, une « populace » inculte et vulgaire. Seuls les membres des couches « socialement supérieures » peuvent à leurs yeux être considérés comme leurs égaux, appartenant au même monde qu’eux.
Cela explique en partie le rapport d’antagonisme et d’affrontement qu’ont l’Etat et son gouvernement vis à vis de la grande masse des gens opposés à cette réforme, ou à tout autre point de leur politique. A la base, il y a ce mépris et aussi cette inquiétude de ce que peuvent faire les gens eux-mêmes. Mépris que les Gilets Jaunes avaient déjà pointé et contourné en cherchant à dire publiquement, eux-mêmes justement, sans représentants, qui ils étaient et ce qu’ils voulaient pour tous.

4) En finir avec la « valeur travail » : La valeur, c’est l’humain, pas le travail. Parler de « valeur travail », c’est affirmer que ce qui compte, ce n’est pas la personne, mais sa capacité à produire, à exercer ses compétences et ses connaissances sur un objet quelconque, qui peut être une personne (élève, patient, usager…), et à réaliser une tâche donnée dans un temps donné, toujours plus court. Mettre en avant la « valeur travail », c’est en réalité déshumaniser le travail. 

5) Cette politique qui refuse de respecter la vie des gens et de respecter leur travail, on la voit aussi avec le projet de loi Darmanin contre les gens de nationalités étrangères en France, où la personne n’est reconnue et acceptée que si elle est jugée « utile » par le gouvernement pour les besoins immédiats du capitalisme. Pire, sa vie légale se retrouve mise sous condition que son « utilité » perdure (projet du titre de séjour « métiers en tension » d’un an, présenté comme généreux…), autrement c’est le centre de rétention pour toute la famille !
Autrement dit, on en revient à la vieille conception du travailleur précaire à vie. Les compétences sont reconnues, mais seulement tant que la personne est jugée «utile». Donc si on est malade, âgé, si l’entreprise délocalise, etc… on n’a plus aucune valeur pour l’état, qui cherche à se débarrasser de la personne présentée alors comme une charge, même si pendant des années elle a contribué à la richesse du pays.
Il en est de même avec la loi contre les chômeurs, loi qui veut obliger des gens à prendre un emploi qui ne correspond pas à leur métier ou une formation imposée dans un domaine qui ne les intéresse pas du tout, sous peine de se retrouver sans indemnités, indemnités qui par ailleurs sont diminuées drastiquement, ce qui ne fait qu’augmenter la misère pour beaucoup.

Toutes ces lois sont des lois pour faire accepter la maltraitance comme normale, nécessaire, et cela au nom de l’humanité et de la justice ! Le gouvernement veut en faire quelque chose d’incontournable, l’inscrire dans les consciences de tous : chacun(e) peut s’y retrouver confronté et devrait l’accepter !
Ne pas l’accepter sur les retraites et dans le travail, ne pas l’accepter avec la loi Darmanin, ne pas l’accepter avec la loi anti-chômeurs : si on veut avoir un peu de force, de cohésion dans notre pensée, dans nos affirmations il faut mettre cela à l’ordre du jour.

Pour ma part je suis convaincu, et j’en suis militant, que seule une idée positive du pays, prenant en compte tous les gens qui l’habitent, peut permettre d’avancer pour tous, sur les points essentiels : le travail, une retraite digne et reconnue comme un droit et non comme une aumône, la prise en compte et le respect de la vie de chacun au travail et aussi dans la vie de tous les jours, que l’on soit étudiant(e)s, réfugié(e)s, handicapé(e)s, au chômage, en maladie etc…

Chacun peut décider, à partir de lui même, de commencer un travail de discussion sur les points qui lui semblent importants.
A plusieurs, (2, 3 ou plus…) on peut décider ensemble de mettre cela sur la table, le rendre public et voir comment on peut transformer des situations.
Pour avancer, il faut avoir confiance dans sa pensée et ses convictions.

Jean-Louis
Février 2023

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