Le mouvement des Gilets Jaunes a posé la représentation parlementaire comme impasse démocratique, et a ouvert à la possibilité et à la nécessité de la présentation des gens eux-mêmes : aux gens à dire ce qui ne va pas, ce qu’ils veulent, ce qu’ils pensent. Il s’agissait de passer de la représentation à la présentation ( «on est là ! » ) : voilà la séquence qu’ouvrait, à grande échelle, nationalement, pour tous, l’irruption des GJ.
Le mouvement des retraites reprend ce point, non pas pas dans les termes où la question a été laissée en suspens, mais par un autre biais. Par celui de la légitimité des gens, non pas seulement à contester, mais à dire ce qu’ils veulent pour leur vie, pour leur travail etc… A la forme acceptée de la mobilisation « à l’ancienne », défilés syndicaux, fanfares… s’est développé en parallèle un questionnement nouveau sur la légitimité des manifestants, des grévistes et d’une grande partie de la population a refuser une loi et à l’imposer à l’Etat, cela malgré l’obstination gouvernementale.
Bien sûr, la légitimité de l’Etat et du gouvernement a décider de lois dont les gens ne veulent pas est en même temps remise en cause, surtout après l’usage du fameux 49-3.
Pour beaucoup, le fait de se penser légitimes à dire ce qu’on veut et ce qu’on refuse sur cette question des retraites doit logiquement obliger le gouvernement à suivre, et à enterrer cette nouvelle loi. Ce qui est loin d’être le cas et ne se pose pas ainsi pour Macron et le gouvernement. Après Sarkozy, Macron impose une 2° rupture importante à l’Etat : la politique n’existe plus, la négociation, la prise en compte de prises de position autres que celles du gouvernement n’ont plus leur place. N’existe plus que la violence de la gendarmerie et de la police (Brav-M, Bac, CRS etc…), la force brute et les lois répressives. Le commandement étatique, reconnu jusque là comme normal par les gens, n’est plus que réduit à cela, sans médiations ni concessions : il s’agit d’obéir, de gré ou de force.
1°) La légitimité :
Contrairement à ce qu’affirme Macron, nous sommes légitimes car les affirmations qui sont sorties pendant le mouvement des retraites s’adressent à tout le monde, et sont pour tout le monde.
Quand nous parlons à partir de nos vies, à partir de ce que les gens vivent, pour que toutes les vies soient respectées, comptées, reconnues, nous sommes bien sûr légitimes à le faire !
Les manifestations, les prises de position pour dire que travailler 2 ans de plus dans des conditions difficiles, physiquement ou psychologiquement est inadmissible, sont légitimes, car qui peut parler le mieux du travail et des souffrances qu’il peut entrainer que celles et ceux qui le vivent et l’expérimentent tous les jours ?
De même quand des gens agissent pour l’environnement, pour la préservation des biens communs comme l’eau, ces personnes sont légitimes, leurs discours, leurs actes sont légitimes face au refus du gouvernement de prendre ces réalités en compte, légitimes face à la volonté de continuer le grand gâchis écologique actuel.
Tout comme sont légitimes des habitants et des architectes comme au Mirail à Toulouse, qui refusent le gâchis humain, écologique, financier et architectural que représente la démolition de logements du patrimoine, spacieux et adaptés aux familles ; ou d’autres encore qui s’opposent aux « grands projets inutiles » décidés à une époque où le réchauffement climatique n’était pas une réalité évidente.
Et non, il n’y a pas les vies qui comptent et celles qui ne comptent pas comme l’affirme Macron quand il dit lors d’un discours : « il y a les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». Et non, il n’y a pas que l’Etat, le gouvernement, les partis… qui peuvent parler sur ce qu’il faut pour les gens, pour tous, pour le pays.
Parler à partir de principes, de valeurs qui prennent en compte tout le monde, prendre position pour que le pays soit pour tous, dans le sens où chacune, chacun soit compté, pris en compte, voilà ce qui permet de dire, en dernier ressort, ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas.
Les discours, les politiques, les décisions sans principe, pleines de mépris et de morgue ne sont en aucun cas légitimes, et encore moins quand elles sont imposées à coups de matraques, de mesures policières, de violences.
2°) Le commandement :
La légitimité reconnue d’une politique gouvernementale entraine l’acceptation du commandement qui va avec.
Poser la question de la légitimité qu’a un gouvernement à promulguer et faire appliquer des lois, c’est aussi poser la question de sa légitimité au commandement, c’est à dire l’acceptation, ou non, par la population, de ce commandement.
Jusqu’à présent et dans la plupart des cas, quand une loi est votée ou une mesure adoptée, elle est bon gré mal gré acceptée. Et même si ils y sont opposés, les gens se plient au commandement étatique et gouvernemental au nom du respect des règles dites « démocratiques » et de leurs médiations : les élections, la loi de la majorité dans les urnes, la constitution etc…
Ce qui est nouveau avec le mouvement sur les retraites ou avec les nombreuses manifestations sur l’environnement et l’écologie, c’est que cela ne fonctionne plus si automatiquement.
Les règles dites démocratiques sont piétinées par le gouvernement lui-même, la justesse et l’honnêteté des décisions prises par l’Etat sont remises en cause sur le fond par les gens, et avec elles l’acceptation du commandement, surtout quand le commandement ne se fait plus qu’à coups de matraques, de LBD, de mises en garde à vue…
Les décisions étatiques, gouvernementales sont interrogées : sont elles justes ? qu’est-ce qui les fonde ? Sur quelles bases sont-elles prises ? Sur quelles bases sont elles refusées ?
3° la décision :
A partir du moment où la décision est prise de dire que telle ou telle mesure est mauvaise, qu’on la refuse et qu’on le fait savoir, que l’on décide de ce qui est juste ou non, que l’on décide de dire ce que l’on veut, cela touche à la légitimité du commandement étatique et ouvre de nouveaux champs, de nouveaux possibles du côté des gens.
Chacun est face à cette question, à cette nécessité : il faut décider que faire, que dire, comment poursuivre, chacun en son nom, mais aussi en rapport aux autres, aux autres décisions émises, proposées, tentées.
Il ne s’agit pas de se fondre dans un collectif qui parle au nom de tous, mais de chercher comment chacun(e) se présente, à partir de soi-même, à partir de ce qu’il pense, aux côtés d’autres. Ce n’est pas la recherche d’une nouvelle représentation, c’est la présentation de chacun(e) qui est en jeu.
Se réunir pour traiter ces questions, délibérer ensemble dans la recherche continuelle d’un « pour tous », voilà les points qui s’ouvrent, à travailler.
Les chantiers sont multiples : retraite, conditions au travail, santé, école, logement, droits des étrangers, accueil des réfugiés, guerre et paix, Ukraine …
Ce n’est pas d’une « convergence des luttes » qu’il s’agit là, mais bien de ce dont on décide soi-même dans les situations et de ce qu’on en fait.
Parlons-en ! Osons en débattre, affirmer nos idées, proposer, inventer nos propres formes de réunion, d’interventions, de légitimité et faire vivre nos principes pour tous.
Le Journal des possibles
Avril 2023
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