Affirmer des principes et énoncer ses propres valeurs pour que dans la sinistre situation actuelle un rapport à l’humain, à la vie des gens, soit tenu.

1- Il y a un grand désarroi, une sidération de beaucoup face à ce qu’est devenu l’Etat. Aujourd’hui le gouvernement (mais aussi les Conseils Départementaux, les Conseils Régionaux, les grandes métropoles…) refusent toute négociation, toute prise en compte d’une parole autre que la leur, comme on l’a vu avec les Gilets Jaunes, le mouvement sur les retraites, la révolte de jeunes etc… 
Le « contrat social » qui définissait et organisait le rapport à l’Etat, à la société, aux autres, est terminé du fait de l’Etat lui-même, de sa décision de se séparer des gens, de se considérer comme un Etat sans peuple, qui n’a plus aucun compte à rendre et plus aucune limite à respecter. Et on voit bien depuis 15 ans, que cela reste vrai quel que soit les résultats des élections et les changements de « têtes » au pouvoir.

2- Les différentes lois Macron (chômage, retraite, éducation, étrangers et exilés, réfugiés…) ne sont là que pour diviser et séparer les gens, les éloigner de plus en plus les uns des autres, les monter les uns contre les autres. Ce que les Gilets Jaunes avaient au contraire réussi à restreindre.
De manière très concrète, cela se donne dans la volonté de supprimer tout rapport à l’humain, que ce soit dans les institutions, les lois et règlements, dans les « services publics » : école, soins, logement… Tout cela dénote d’une politique menée contre la vie des gens, contre le droit et le respect de chacun.e.
Au delà du prétexte économique avancé, le but recherché c’est la fin du rapport aux personnes en tant qu’individus, à leur vie, avec la volonté d’imprégner l’ensemble de la société de ce mode de pensée. Cela va de pair avec des tentatives de déshumanisation de parties importants de la population, par le biais d’amalgames diffamants et réducteurs (chômeurs = fainéants = profiteurs) (étrangers = musulmans = terroristes) etc..
Il s’agit de présenter les gens comme coupables des difficultés qu’ils rencontrent, sans jamais s’attaquer à la cause de ces difficultés, et de traiter toutes les situations à l’aide d’algorithmes, sans permettre aux personnes de s’expliquer let sans tenir compte de la spécificité de chacun(e).

3- Que la situation, tant nationale qu’internationale, soit sinistre et criminelle ne fait aucun doute.
Que la xénophobie soit la politique proposée par le gouvernement Macron/Attal, stimulé et aiguillonné par le RN, ne fait malheureusement pas de doute non plus.
Ce que l’on peut appeler la « fascisation » actuelle, ou le passage de l’Etat de droit à un Etat de police (et non policier, voir article ici) vient avant tout des Etats, et non d’un désir ou d’un choix de la population.
Cette situation, accentuée par un manque d’affirmations du côté des gens, crée une grande faiblesse. 

4- Pouvoir faire face à cette situation demande d’affirmer, en actes, des principes pour tous, d’affirmer la volonté de maintenir de l’humain, de se soucier de ce qui arrive aux autres, de mettre en avant la vie et le respect de chacun.e, car chaque vie compte : voilà un chemin possible, pensable et praticable par tous ceux qui le décident dans la situation très dure que nous vivons aujourd’hui.

5- Pour éclaircir ce point, nous proposons d’exposer quelques éléments de batailles ou d’enquêtes récents à partir de situations où des gens sont/étaient d’une manière ou d’une autre acteurs, ou tentaient de l’être. 

Ecole et familles hébergées.

Dans plusieurs écoles à Toulouse, et ailleurs, des parents et des enseignants ont décidé d’ouvrir leurs locaux à des familles d’enfants scolarisés dans l’établissement car ces familles vivent à la rue, dans des voitures… Dans une école où une famille était hébergée, le Maire a décidé de porter plainte contre la directrice. Cette plainte, relayée par le Préfet, a entrainé la convocation de cette directrice au Rectorat.
De suite des mères d’élèves ont décidé d’être à ses côtés, voilà quelques uns de leurs arguments adressés au Rectorat et au Maire : 
« Nous tenons à vous dire que nous soutenons totalement Mme X, en tant que parents et en tant que représentants des parents d’élèves de notre école et que cette convocation n’a pas lieu d’être : On ne peut pas laisser des enfants dormir à la rue dans notre pays, surtout en période hivernale ! Au plus haut niveau de l’état, ceci est reconnu, puisque la France est signataire de la Convention des Droits de l’enfant, qui oblige à apporter aide et protection à tout enfant en danger. Or dormir à la rue, surtout en hiver, c’est une mise en danger et ce sont des conditions de vie qui ne permettent pas à un enfant d’étudier normalement.
Cette action, on y a été forcés par la situation : pendant plus d’une semaine, on a appelé le 115 tous les jours pour obtenir une solution, sans aucun résultat. 
« On » c’est la famille, nous les parents à tour de rôle, des enseignants et des amis, plusieurs fois par jour. Le thermomètre tombait à zéro, il pleuvait…. Que fallait-il faire ? Baisser les bras ? Abandonner ces enfants à leur triste sort ? En désespoir de cause, voyant la situation totalement bloquée, on a été obligés d’intervenir.
Même sans la présence de Mme X, nous aurions fait le nécessaire pour pouvoir ouvrir l’école, héberger cette famille et mettre les enfants à l’abri, en tant simplement qu’êtres humains, que parents, en application de notre devise républicaine : « liberté, égalité, FRATERNITE ». La Fraternité, selon le Conseil National des Politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) , c’est « le sentiment de solidarité et d’amitié qui unissent les membres de la même famille que représente l’espèce humaine » C’est ce que nous avons ressenti et qui nous a fait agir.
En ouvrant l’école à cette famille, à notre demande, Mme X n’a fait que manifester ce sentiment de fraternité. Elle a apporté une protection urgente et imminente à une élève en situation de danger physique et moral, et en faisant cela, elle était dans son rôle de directrice qui lui prescrit de mettre en oeuvre les conditions pour que les enfants puissent étudier sereinement.
Elle a veillé avec nous à ce que cela se passe avec toutes les garanties de sécurité pour tout le monde et de respect des locaux, comme d’ailleurs l’huissier mandaté par la mairie a pu le constater. Les seules dégradations qui ont été commises sont le fait des forces de l’ordre envoyées par la mairie qui ont cassé le portail pour entrer dans l’école inoccupée. C’est pourquoi nous sommes aussi très étonnées que la mairie ait porté plainte.
Par ailleurs, nous rappelons à Monsieur le Maire qu’il y a sur Toulouse et en particulier sur notre quartier du Mirail de nombreux appartements vides et habitables immédiatement, qui pourraient être mis provisoirement à la disposition de familles en détresse, en lien avec les services sociaux, le temps de trouver une solution durable à leur problème de logement.
En conclusion, nous tenons à réaffirmer notre solidarité avec Mme X et avec cette famille à la rue. S’il faut recommencer, on le fera sans hésiter, meme si on espère que ce ne sera pas nécessaire, Pour nous, il n’y a pas lieu de sanction, ni même de rappel à l’ordre car Mme X a fait ce qu’elle avait à faire, en tant que directrice, qu’enseignante, que maman. »

Lors de son entrevue au Rectorat, où des parents, des amis, des salariés de l’école étaient rassemblés devant les grilles, le Rectorat a précisé à la directrice qu’aucune sanction ne serait prise à son encontre. 
Cette école est souvent ciblée car les parents d’élèves y bataillent depuis de nombreuses années pour que les enseignants soient rapidement remplacés en cas d’absence, pour que les enfants ne soient pas traités de façon méprisante parce qu’ils vivent dans un grand quartier populaire, pour qu’ils aient accès aux équipements culturels et sportifs, y compris pendant les vacances scolaires etc…
Ce travail se fait en lien étroit avec l’équipe enseignante, par des discussions où tous et toutes sont à égalité. Les décisions sont prises ensemble, dans le souci constant des enfants et pour que les enseignants puissent travailler dans de bonnes conditions.

Logement

Une grande partie d’un quartier populaire (la Reynerie) doit être rasée, des immeubles sont vidés de leurs locataires éparpillés aux 4 coins de la Métropole.
Durant plusieurs années des habitants ont fait le choix de dire « c’est à nous de décider si on veut rester ou partir, de décider où nous voulons être relogés ainsi que les conditions. Nous ne sommes pas de la poussière que l’on déplace, mais des habitants du pays comme les autres, des toulousains comme les autres, nous avons des droits, nos vies doivent être respectées ».
Dans une situation où les gens ont en face d’eux le rouleau compresseur de l’Etat, de la Mairie, du Conseil Départemental, il est très dur d’empêcher les démolitions d’immeubles, car bien sûr les bailleurs ont aussi tout un arsenal de sales coups pour pousser au « départ volontaire » : deals qui prospèrent, entretien mal ou non fait, ascenseurs arrêtés etc… mais aussi corruption par l’attribution à certains de logements convoités.
Néanmoins, dans un tel climat, et malgré un grand défaitisme (« nous sommes locataires, nous n’avons pas de droits»), on peut dire que les locataires qui ont mené bataille à partir du point cité plus haut, ont pu faire en sorte d’être respectés, et que leurs vœux soient pris en compte. Plusieurs ont gagné d’être relogés dans le quartier, à loyer et surfaces équivalents ; et en attendant un relogement qui leur convient, ils ont gagné que l’immeuble soit entretenu, les ascenseurs réparés etc… Ce qui est loin d’être négligeable quand on voit la brutalité et le mépris utilisés pour forcer au départ.
Ce qui a permis de tenir c’est le lien tissé entre les locataires, l’affirmation que la vie de chacun.e compte, et l’attention et l’entraide que certains ont manifestées devant les difficultés à surmonter. C’est aussi des liens tissés avec des architectes qui interviennent contre les démolitions.

Santé et soins

Un service psychiatrique dans un très mauvais état dans un CHU important, ce qui est malheureusement général aujourd’hui en France. Les soignants se retrouvent à ne plus avoir le temps de s’occuper réellement de chaque patient, de prendre en compte sa pathologie, de réfléchir à sa progression.
Ils disent « qu’ils ne veulent pas être transformés en distributeurs de médicaments, vécus comme des flics par les malades ».
Ils disent et proposent des solutions : « faire des ateliers avec les patients, tisser des liens, de la confiance ». Rien de tout cela n’est accepté par la Direction. Résultat : un patient met le feu dans sa chambre et risque de mourir, sauvé inextrêmis par 2 infirmiers au risque de leur vie. Des agressions sexuelles ont lieu dans le service d’urgence surchargé, un patient sur un brancard depuis plusieurs jours se suicide, tout cela en l’espace moins d’un mois.
Grèves et arrêts maladie se succèdent. Une réunion se tient avec le responsable de l’Agence Régionale de Santé : une grande partie du personnel s’y invite et devant les propos de l’ARS qui ne veut rien comprendre, fuse : « C’est innommable, quand on voit le système de santé français exploser ! Vous en êtes responsables ! C’est vous qui avez fait ça, vous êtes en train de tuer des gens, vous en rendez-vous compte ? ».
Ce qui les fait tenir ? Ils le disent : « c’est parce qu’on a des projets, que l’on sait ce qu’il faut faire pour que cela se passe bien pour les patients, et que c’est réalisable, voilà ce qui nous fait tenir ».
Là aussi c’est l’affirmation de l’importance du lien, de l’humain, du rapport aux autres qui permet de tenir et d’avancer dans ce désastre organisé au niveau des ministères depuis des années.

Paysans

Nous avons été enquêté sur 2 barrages, les 21 et 22/02/2024, à Carbonne (Haute Garonne) et L’Isle Jourdain (Gers).
Un véritable appel à l’aide pour certain.e.s, une négociation sur les taxe gas-oil et les normes pour d’autres.
Ce que nous avons entendu : 

  • « je veux pouvoir vivre de mon travail », point mis en avant par des éleveurs qui constatent que le prix d’achat de la carcasse de vache par les grands groupes est inférieur à leur coût de production et ne leur permet pas de vivre; « on a 0 pour nous, il ne nous reste rien, on se moque de nous, on nous mène par le nez ».Ce point, les céréaliers ne nous en parlent pas : c’est une bourse spécifique qui décide des prix.
  • la difficulté pour reprendre les petites et moyennes structures familiales, même si 80 % des fermes sont reprises par les enfants dans la région de Carbonne.
  • Sur un barrage, la parole est libre, les gens discutent facilement, ce qui n’est pas la même chose sur celui « tenu » par la FNSEA, où il faut passer par les syndicats. A la question « comment vous prenez les décisions, en réunion générale, avec tout le monde ? » la réponse : « non, c’est quelques syndicalistes, les autres suivent ».
  • Les affirmations de certains ne sortent pas vraiment, non formulées en tant que telles, et prises dans un consensus de mouvement qui parle surtout des « papiers administratifs », « des normes » et pas vraiment des conditions de survie et de vie correcte pour tous même si c’est cela qui provoque une grosse partie de la colère actuelle.

6- Ces points montrent que la situation est entre les mains de chacun.e. A chaque fois la question  est posée : “comment être en capacité de faire face, de tenir ?” et des gens tentent d’y répondre.  
Cela demande d’écouter et de prendre au sérieux ce que chacun.e dit, formule, cherche ou affirme. Et de construire de la confiance à partir des points enoncés alors pour ouvrir à des possibilités nouvelles. 
Cela est possible et nécessaire pour ici et maintenant.


À partir de dicussions 
et d’échanges en réunions
Mars 2024

Texte en PDF :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *