De nombreuses luttes sont entreprises dans les services de soins des hôpitaux publics et les EHPAD de France. Des soignants se suicident sur leurs lieux de travail. Deux luttes récentes ont abouti, une au CHS de Limoges, une au CHS du Rouvray suite à la grève de la faim (respectivement 20 au 24 mars 2018 et au mois de mai 2018) de soignants qui ont mis leur santé et leur vie en danger.
Quand j’écoute des personnes, dans mon environnement social, parler des difficultés qu’ils ont vécues lors de l’hospitalisation d’un proche, j’entends les difficultés que vivent au quotidien les soignants pour soigner.
Les soignants dénoncent leurs conditions de travail et de soins. En effet, beaucoup qui prodiguent des soins depuis une décennie font le constat que dégradation des conditions de travail et baisse de la qualité des soins sont liées. Autrement dit, quand la dégradation des conditions de travail se dégrade, la qualité des soins prodigués baisse.
Les étudiants en soins infirmiers s’inquiètent la précarisations des métiers de la santé. Beaucoup à la sortie de leurs études enchaînent des CDD pendant plusieurs années, sont dans l’impossibilité de prendre un loyer, de souscrire un prêt bancaire, de prendre leur autonomie d’adulte et sont contraints de vivre chez leurs parents. Du côté des soins, le turn-over important que cette précarisation entraîne, a pour conséquence une perte de la transmission des savoir-faire dans les équipes soignantes et l’effacement d’une mémoire de la qualité des conditions de travail antérieures nécessaires à l’exigence de qualité des soignants en lutte.
Des soignants luttent. Ils luttent parce que, parmi eux, certains se suicident sur leur lieu de travail. Ils luttent parce qu’ils veulent exercer leur métier en lien avec les valeurs qu’ils portent. Ce sont ces valeurs qui soignent une personne. Ils veulent exercer simplement leur métier. Traiter des maladies, des blessures, des jambes cassées… n’est pas leur métier. Leur métier est de soigner.Soigner, c’est créer du lien avec la personne soignée, la rencontrer, tenir en considération la satisfaction de ses besoins, établir une relation de confiance. Personne ne crée une relation de confiance avec une jambe, cassée ou pas.
Ils luttent parce qu’il est insupportable de discuter, chaque jour, de quel patient va le moins mal pour libérer un lit pour un autre qui va plus mal.
Ils luttent parce qu’il est insupportable de faire attendre 6 mois ou plus pour une consultation une personne qui souffre, de lui faire courir le risque d’une aggravation de ses symptômes et de la détérioration de sa santé.
Dans les EHPAD, les politiques d’austérité ont conduit à des conditions de vie et de soins qui frisent la catastrophe humaine et sociale. Le manque de moyens matériels et humains empêche les personnels d’exercer leur métier dignement, ils sont mis en difficultés sérieuses pour préserver la dignité des personnes hébergées. Ils luttent pour pouvoir accompagner dignement et humainement les personnes dans leur vieillesse.
En Allemagne, des soignants exerçant en maisons de retraite, avec l’aide de deux avocats, ont porté plainte contre l’État allemand pour dénoncer ce qu’ils tiennent pour des violations des droits humains dans les EHPAD.
Quand les soignants sont empêchés simplement d’exercer leur métier avec humanité par des politiques d’austérité, ils s’épuisent, car leur dignité et celle de leurs patients est menacée voire détruite malgré leurs efforts pour la conserver.
Ils soignent mais soigner est devenu une lutte quotidienne face à des restructurations dont la seule ambition est de réaliser des économies voire des bénéfices.
De nombreuses luttes ont lieu dans les services de soins. Elles sont invisibles car elles sont rarement relayées par les médias. Les soignants cherchent à rendre leurs luttes visibles. Ils ne peuvent manifester en masse car ils ne peuvent pas laisser les personnes qu’ils soignent et les équipes sont en effectifs à flux tendus. Ils subissent les réquisitions et une répression forte.
Ils ont besoin, dans leur lutte pour soigner avec humanité, de l’appui des habitants du pays.
L’enjeu des luttes menées par les soignants est ambitieux. C’est un combat pour que chacun soit soigné avec humanité et dignité, tel qu’il est, selon ses besoins et non selon ses moyens financiers.
Dans les Alpes, en mer Méditerranée, des hommes, des femmes, des enfants meurent car les gouvernements européens refusent de leur porter secours et criminalisent ceux qui le font.
Construire une société, qui refuse de porter secours à des gens qu’elle décide indésirables et qui punit ceux qui estiment légitime de le faire, prépare les consciences a accepter que les réfugiés et les migrants n’ont pas légitimité à être secourus et que leur mort est naturelle.
Quand les consciences auront accepté, plus rien ne saura s’opposer à ce que des personnes ne soient pas soignées et meurent faute de soins.
Se battre pour que chacun soit secouru et soigné selon ses besoins tel qu’il est et non selon ses moyens financiers, c’est construire une société libre où chacun compte, c’est permettre de vivre la paix. C’est être du côté de la vie.
Je suis de ceux qui pensent que le combat pour l’accueil des réfugiés et des migrants est lié au combat des soignants. Seuls, les soignants en lutte ne peuvent réussir. J’invite tous ceux qui veulent une société libre et en paix, où toutes les personnes ont légitimité à être secourues, à aller à la rencontre des soignants et à lutter avec eux.
Luc, Octobre 2018
Texte en PDF : santé